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un voyage à sparte.

Sans cette maison, aujourd’hui l’auberge Terrasse, où Gœthe, fort excité d’avoir vu des oliviers, arriva le 12 septembre 1786.

Depuis dix ans il était épris de la prêtresse de Diane… On possède une lettre, où, dix années avant le voyage d’Italie, un soir de février 1776, il écrit à son amie, Mme  de Stein : « Mon âme se détache peu à peu, grâce aux agréables sons, des protocoles et des dossiers. Quatre musiciens sont tout près dans la chambre verte, je suis assis et j’évoque doucement les images éloignées. Une scène doit s’achever aujourd’hui ; je le pense, mais j’aurai de la peine… »

Combien j’aime cette expression « doit s’achever. » Il ne dit pas « Je dois achever. » Il est un arbre qui se laisse fleurir et fructifier. Il laisse se créer, en soi, des images, une œuvre, que tout nécessitait.

Peu de jours après cette soirée, où quatre musiciens avaient favorisé son génie, Gœthe dut partir en tournée comme inspecteur des ponts et chaussées et comme conseil de revision. Il allait examiner les routes et les recrues. Et de Dornberg, le 2 mars, il écrit à Mme  de Stein : « Je vis aujourd’hui avec les hommes de ce monde ; je mange, je bois, je plaisante avec eux, mais ils m’affectent peu, car ma vie intérieure suit impitoyablement son cours. »

Quelle est donc à cette date la vie intérieure de Gœthe ?

Son amour pour Mme  de Stein et cette Iphigénie en Tauride, qui sera l’histoire héroïque de leur amour.

Mme  de Stein est Iphigénie, et Gœthe s’est exprimé dans Thoas. Il écrit à son amie : « Ton amour éclaire toutes mes journées. Ton approbation est ma meilleure gloire, et si j’attache du prix à une bonne renommée, c’est pour toi, c’est pour ne pas te faire honte. » Comme la vierge d’Argos sur la côte de Tauride, Mme  de Stein à Weimar, auprès du jeune et puissant barbare romantique, est une civilisatrice. Leurs lettres et toutes leurs mœurs l’attestent. Ne croit-on pas entendre Thoas, quand le jeune Gœthe, qui vient d’entrer à Weimar, brillant et généreux comme un véritable roi des esprits, dit à la grande dame qu’il aime : « Je ne suis pas un être indépendant. J’ai appuyé sur toi toutes mes faiblesses, j’ai rempli par toi mes lacunes. » Et pour comprendre la principale beauté de cette tragédie, c’est à savoir sa plénitude et sa solidité, que l’on médite le sentiment de Gœthe pour son amie : « La gentillesse, la grâce, l’amabilité