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un voyage à sparte.

rejette les copeaux de sa journée qui l’encombrent et désire recevoir une émotion spirituelle. Alors, si rien ne nous impose de plaisir ou de tourment, quelle détresse, quel veuvage ! Un homme raisonnable a soin de réclamer vite la lampe. Hâtons-nous d’étouffer sous notre travail ce soulèvement de vaine poésie.

Mais au fond du golfe d’Argos, sur quoi se divertir de soi-même ?

La terre de Nauplie, pour moi, n’a pas d’odeur. J’écoute ses propositions avec insensibilité. Je ne gravirai pas sur le flanc du rocher les huit cent cinquante-sept marches qui mènent au fort Palamède. Nul paysage ne saurait, ce soir, vaincre ma dure indifférence.

Je rentre à l’hôtel, et voici qu’en feuilletant mes livres, je trouve sur le nom de Nauplie une tache de sang pâli. Elle m’attire au parvis de Saint-Spiridion…


Dans l’une des rues basses qui encerclent le Palamède, j’ai visité la sinistre église. Sous son portail, le président Capo d’Istria fut assassiné à six heures du matin, le 9 octobre 1831.

Capo d’Istria avait été mis par l’Europe à la tête du gouvernement de la Grèce. C’était un habile homme de cour parmi de rudes Klephtes. Son escrime ne valait pas contre leurs brutalités. Il voulut affaiblir les familles influentes et pousser dans l’ombre les chefs de la guerre d’Indépendance, afin de concentrer dans ses mains le pouvoir ; il se heurta, il se brisa contre leur opposition et surtout contre celle des Mavromichalis, la plus puissante des familles féodales du Magne.

La tête de cette famille était Petro Mavromichalis, le bey du Magne qui, en 1821, avec Colocotroni, avait donné le signal de l’insurrection. Quarante-neuf membres de ses parens étaient morts en combattant pour l’indépendance. Aussi souffrait-il avec impatience l’autorité du nouveau président. Des siècles d’anarchie belliqueuse l’avaient mieux préparé pour être un héros que pour se soumettre à des institutions régulières : « Homme né d’hier, disait-il à un contradicteur, oses-tu bien te mesurer avec celui de qui l’origine est aussi ancienne que les sommets du Taygète ? » Des révoltes ayant éclaté sur plusieurs points, Capo d’Istria osa l’emprisonner dans le fort Palamède. Mettre la main sur le vieillard des Mavromichalis ! C’était un coup d’État.