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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/78

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vous dans le vaste monde où personne ne m’aime et où je n’aime personne. Permettez-moi de rester ici.

Elle ne sut que balbutier :

— A Bouzowa, toute seule, mignonne ?

— J’y serai moins seule qu’ailleurs, dit Gisèle. Tout me parlera de vous et je vous attendrai moins longtemps que vous ne le supposez peut-être, car votre frère peut guérir vite.

— Que Dieu vous entende !

— Je me rendrai utile, ne fût-ce qu’en soignant nos amis à quatre pattes, et puis il y a beaucoup d’ordre à mettre partout…

En effet, Ottilie, la femme de charge allemande, vieille et infirme, ne suffisait plus à la besogne.

Voyant cependant que sa protectrice se taisait :

— Je visiterai l’hôpital, poursuivit Mlle Waîther, je continuerai à l’école ma petite classe d’aiguille.

— Si vous le désirez tant ! répondit Mlle Belsky en passant la main sur les cheveux de la suppliante agenouillée auprès d’elle. Prenez donc les rênes du ménage. Vous recourrez, dans les cas difficiles, à l’expérience de Fraulein Ottilie et aux lumières de Féodor. J’avoue que, dans ma grande tristesse, il me sera doux de penser qu’un bon ange m’attend à Bouzowa.

Gisèle Walther couvrit de baisers la main de sa « dame chérie, » promit de lui écrire tous les jours, répétant que son unique bonheur était de la servir et qu’il lui suffirait de la société de Roland et de Gocogna, voire même de celle d’Oudoudou pour ne jamais s’ennuyer.

Je crus voir qu’à notre dépari, elle s’efforçait en vain de paraître affligée ; en revanche, la petite Nadia baissa les yeux avec une mine de déplaisir farouche, quand sa maîtresse lui enjoignit d’obéir à Mlle Walther comme à elle-même ; mais Sophie Paulowna était apparemment trop absorbée dans de pénibles préoccupations pour rien remarquer.

Ensemble nous passâmes, emportés par la vapeur, d’un monde à un autre, de la Petite-Russie à la Grande, de la steppe à la forêt, des plaines aux collines, des chaumières aux maisons de bois moussues. Les villes sont à longue distance les unes des autres et toujours éloignées de la station. Presque rien à regarder, sauf les beaux environs de Moscou, et, une fois engagés sur la route qui brusque et précipite en une ligne droite uni