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Sinnamari. Plus tard encore, sous le Consulat, le démon de la politique avait paru, un instant, le ressaisir : mais il n’avait pas réussi à faire de lui sa victime. Et maintenant, à quoi tenait-il qu’au lieu de rouler allègrement vers son pays natal, il ne s’acheminât sur les routes étrangères, avec la perspective d’achever ses jours dans la tristesse, peut-être dans la gêne, loin de ses enfans et des horizons familiers, comme le plus grand nombre des conventionnels, ses anciens collègues ?

« Craignant par motif de religion de se trouver en route, pendant la semaine sainte, » il avait pressé la délivrance de son passeport et il l’avait obtenu le 21 mars. Comme Pâques tomba le 14 avril en 1816, on peut croire qu’il fut de retour à Grasse assez tôt pour chanter l’Alléluia et qu’il le chanta d’un cœur reconnaissant. Il passa ses dernières années dans sa ville natale, entre sa femme, qui devait lui survivre douze ans, deux de ses filles, qui ne se marièrent point, vouées à des œuvres de piété et de charité, et son fils, qui lui avait succédé dans la place de receveur particulier et qui, comme administrateur des hôpitaux et du collège, fondateur de la caisse d’épargne, conseiller d’arrondissement, conseiller municipal, conseiller général, membre de diverses sociétés publiques et privées d’assistance, a laissé à Grasse les plus honorables souvenirs. Il venait d’avoir soixante-sept ans, lorsque l’apoplexie l’emporta le 12 mars 1823. Ainsi mourut, dans la paix retrouvée du foyer domestique et de ses premières croyances, un homme que les orages d’une vie extraordinairement tourmentée semblaient avoir marqué pour une fin moins sereine : suprême et dernière faveur de la Providence, la plus précieuse à ses yeux, sans nul doute, de toutes celles qu’il en avait reçues.


EUGENE WELVERT.