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les provinces turques de Tripoli et de Cyrénaïque : double imprudence, car, d’une part, nous froissions le Sultan de Constantinople, tout en facilitant l’introduction d’une rivale possible sur la frontière orientale de la Tunisie, et, de l’autre, nous paraissions accorder aux intérêts italiens qui, au Maroc, étaient minimes, plus d’importance qu’aux intérêts allemands. On a dit, à cela, que l’Italie est une puissance méditerranéenne et non l’Allemagne ; mais, a-t-on répondu en Allemagne, la question marocaine n’est pas uniquement méditerranéenne ; la Méditerranée est, surtout aujourd’hui, un passage qui conduit en Orient et en Extrême-Orient ; l’Allemagne, grand État commerçant en voie de devenir un grand État maritime, se croit d’autant plus intéressée à la liberté du détroit que l’Angleterre, grâce à la possession de Gibraltar, est en mesure de le fermer. En second lieu, l’Allemagne, qui cherche à établir sa prépondérance dans l’Empire turc, a, dans la Méditerranée orientale, de si vastes desseins qu’elle tient à être comptée parmi les puissances méditerranéennes. Et, si l’Allemagne enfin, par sa politique en Orient, tend à devenir une puissance musulmane, s’abstenir de le reconnaître en ne tenant pas compte d’elle lorsque le sort d’un État musulman était en jeu, c’était contrarier ses ambitions. En tout cas, la place que l’Empire allemand occupe en Europe, le poids dont il pèse, par son activité économique et par sa force militaire, dans la balance des affaires du monde, ne permettaient pas, si l’on s’adressait à l’Italie et à l’Espagne, de le passer en quelque sorte sous silence. Le comte de Bülow avait, à plusieurs reprises, insisté sur le caractère universel de la puissance allemande : notre « empire » n’est pas territorial, expliquait-il, mais commercial et moral ; il consiste en ce qu’aucun grand événement ne peut s’accomplir dans le monde sans que l’Allemagne ait son mot à dire ou sa part à prendre : on n’a pas paru comprendre, en France, toute la portée d’un tel avertissement.

Le gouvernement de l’empereur Guillaume il ne paraissait cependant nourrir contre nous aucun mauvais dessein ; il avait affirmé, à plusieurs reprises, que l’Allemagne n’avait, au Maroc, que des intérêts commerciaux et qu’elle ne souhaitait que d’y voir régner une sécurité et une liberté favorables au négoce ; un très petit nombre de « coloniaux » demandaient que l’empire acquît, sur la côte du Maghreb, un établissement territorial,