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sur l’Italie des romantiques, M. Urbain Mengin écrivait : « Peut-être Lamartine notait-il quelques impressions dans ses carnets. A Bologne, il avait déjà « un petit volume de notes décousues. » Un peu plus tard il promet à Guichard de lui rapporter « un portefeuille bien garni » de descriptions d’Italie pour le distraire les soirs d’hiver à Bienassis. Ces carnets sont perdus… » Il se peut que les carnets d’impressions sur Bologne et sur Florence soient en effet perdus ; mais ce n’étaient pas les plus importans. En Italie Lamartine n’a goûté que Rome et Naples. Or en explorant cet été les papiers du poète conservés à Saint-Point, nous avons eu la bonne fortune de mettre la main sur le carnet de voyage contenant les impressions de Rome et de Naples[1]. Il est daté de Rome où Lamartine arriva dans la nuit du 1er novembre, après être parti de Florence le 30 octobre à six heures du soir par le « courrier » de Rome.


Rome, 1er novembre.

Je suis arrivé à Rome la nuit du 1er novembre, il faisait le plus beau clair de lune, les dômes, les hautes têtes des pyramides et surtout le superbe dôme de Saint-Pierre se dessinaient parfaitement sur un fond du bleu le plus pur ; le plus parfait silence régnait dans tous les environs déserts de cette belle et triste ville ; à droite et à gauche j’apercevais quelques débris de temples ou de palais, quelques fûts de colonnes renversés, et partout l’image effrayante et sublime d’une splendeur qui n’est plus ; je tressaillais en entrant par cette fameuse porte du Peuple qu’on m’avait annoncée comme une des plus belles choses du monde… Je traversai de longues rues qui étaient dans le plus parfait repos et qui paraissaient elles-mêmes des ruines sans habitans. Cette première impression a été triste et affligeante…


Lamartine avait, avant son départ, consciencieusement travaillé son voyage dans les livres. Il s’en était promis toute sorte de merveilles. Il lui arriva ce qui arrive souvent aux hommes d’imagination très riche et d’ardente sensibilité : la réalité lui parut d’abord inférieure à son rêve : il était déçu.


Je m’étais trop accoutumé, depuis que j’étais en voyage et en Toscane, à l’idée de voir Rome. Ce nom-là avait perdu déjà pour moi de son enchantement, je l’avais prononcé trop souvent ; l’illusion était diminuée. C’est un malheureux effet qu’avec mon caractère j’éprouve partout, et pourtant de loin c’est quelque chose et de près… je ne dirai pas de Rome : ce n’est rien,

  1. Ce carnet, qui fait partie des archives de M. Ch. de Montherot, est une sorte de calepin de cuir rouge cartonné de vert, — proches parens des albums, d’ailleurs beaucoup plus élégans, qui contiennent Saül et les brouillons des Méditations, et qui sont déposés à la Bibliothèque nationale. Il contient 24 pages d’écriture. Un feuillet manque, à l’endroit où Lamartine racontait son voyage à Herculanum.