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libéré la forme par l’emploi du vers blanc et les constans essais de mètres nouveaux : le principe était qu’au code étroit des règles il faut substituer le respect de la liberté du poète. Deux influences considérables ont été celle de Spenser et celle de Milton : cette dernière notamment a contribué à introduire dans la littérature ce caractère de rêverie grave et de mélancolie méditative qui s’harmonisait avec le sentimentalisme alors à la mode sur tout le continent. Le goût du moyen âge fit son apparition avec la rage de l’art gothique et popularisa la littérature de ballades. Les dieux de la mythologie classique furent mis en déroute par les dieux du Nord et triomphèrent dans les poèmes d’Ossian. La vogue des élégies de Gray acheva le mouvement… Le romantisme ne fut d’ailleurs pas seulement adopté par les poètes et les conteurs : il eut aussi bien pour lui les critiques. Young, entre autres, déclare qu’il est temps d’abandonner les modèles classiques et de se tourner vers la nature pour en recevoir l’inspiration directe, le génie étant supérieur à toutes les règles, et ne devant recevoir de lois que de lui seul… Différence caractéristique : les romantiques anglais ne sont pas des révolutionnaires ; ils restent de profonds admirateurs de Pope et d’Addison ; ils se contentent d’élargir peu à peu l’horizon littéraire. C’est ce qui les distinguera des romantiques français. Le romantisme en France est une bataille livrée par de jeunes gens épris de nouveauté à l’instinct littéraire national ; en Angleterre, il est un retour à la véritable tradition. » Tous ces élémens du romantisme anglais sont aussi bien ceux qu’on verra plus tard et peu à peu constituer le romantisme français.

Sans doute les écrivains du XVIIIe siècle avaient lu, dans les traductions de Letourneur, Shakspeare, Ossian, Young. Mais ils ne leur avaient emprunté que ce qui était en accord avec leur goût et leur conception de la littérature. Les lecteurs français du XIXe siècle les liront autrement et y découvriront toute sorte d’autres choses ; d’ailleurs ils ne s’en tiendront pas aux écrivains du siècle précédent et ils auront pour compléter leur initiation Walter Scott et Byron, Wordsworth et Shelley. Qui ne sait combien nos premiers romantiques ont été intéressés par la poésie anglaise ? Pour Lamartine, Ossian a été l’enchanteur de sa dix-huitième année : il a un culte pour Byron. Celui qui, à coup sûr, est le moins familier avec la littérature anglaise, comme aussi bien avec toute littérature étrangère, c’est Victor Hugo. Et pourtant il a quelque teinture d’Addison et de Moore, il imite Shakspeare, Walter Scott et Maturin, et il insère dans la « Muse française » un article qu’il réimprimera dans Littérature et Philosophie, et