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étaient devenus une terrible menace pour la marine de commerce. Il était naturel que ces grands bâtimens fussent le sujet de perfectionnemens dans la puissance défensive. Par une anomalie bizarre, ils ont devancé les cuirassés de ligne eux-mêmes, en inaugurant les premiers la combinaison du cuirassement et du cloisonnement, qui donne le maximum de protection.

La question de savoir si la cuirasse convient aux croiseurs, ou, en d’autres termes, si l’on doit destiner à la croisière les bâtimens revêtus d’une cuirasse, ne se résout point par raison démonstrative ; elle ne se résout même pas du tout, si l’on ne vient pas à s’accorder d’abord sur le rôle des navires qualifiés de croiseurs. La marine anglaise et la marine française lui donnèrent d’abord des réponses différentes.

La marine anglaise resta fidèle à la distinction bien nette qui régnait, il y a quinze à vingt ans, entre les bâtimens de combat d’escadre, tous munis de cuirasse, et ceux construits pour opérer isolément, tous simplement protégés. Aux croiseurs étrangers, elle en opposa de plus grands, en plus grand nombre, comme ceux du type Diadem. Pour le Terrible et le Powerful, elle accepta un déplacement supérieur à quatorze mille tonnes, c’est-à-dire égal environ à celui de l’Italia et à trois fois et demie celui du Matsou-sima, sans mettre une plaque sur les murailles. Tout était consacré à la vitesse, qui atteignait vingt-deux nœuds, à l’approvisionnement de charbon, et, sous le rapport militaire, au développement de l’artillerie. L’espèce d’équilibre, auquel nous nous sommes habitués, entre la puissance défensive et la puissance offensive d’un même bâtiment, était sacrifié sans doute, mais cet équilibre est de pure convention ; la défense sera toujours parfaite, quand l’ennemi aura été détruit. Cette remarque justifie la répugnance, publiquement témoignée par sir William White, à reprendre, pour les croiseurs, l’ancienne lutte du canon et de la cuirasse, et à inaugurer l’emploi de cuirasses, efficaces contre certains petits calibres seulement, devenant une charge inutile lorsque ces calibres sont abandonnés. La vérité est que l’adoption de la cuirasse est, pour les croiseurs, une simple affaire de convenance temporaire et d’à-propos. La seule protection qui soit à sa place, toujours et partout, est celle donnée parle cloisonnement et le charbon, parce que celle-là ne pèse rien.

Dans la marine française, où l’apparition des obus à la mélinite causa une émotion plus vive qu’en Angleterre, on eut tout de