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Au mois de septembre 1896, lors du changement d’attributions dont j’ai parlé, et qui présentait un caractère marqué d’hostilité à mon égard, cet amiral me fit visite, dans le bureau que je me préparais à quitter, et dans une intention évidemment ironique, il m’adressa, en substance, l’observation qu’après avoir fait autrefois de superbes projets de cuirassés agrandis, je venais de passer au ministère plusieurs mois sans les exécuter. Je lui présentai l’ordre du ministre précédent, signé sur ma proposition, de mettre à l’étude les cuirassés dont il parlait, avec, au-dessous, mention de l’ordre du ministre nouveau arrêtant le travail entrepris. L’étonnement changea de côté. Je ne voudrais point rappeler, à mon interlocuteur d’alors, l’exclamation que lui inspira sa confusion ; elle était trop flatteuse et je ne la méritais pas.

Maintenant il ne suffirait plus à la marine d’apprendre à s’orienter et à se régir, sans attendre l’impulsion extérieure que nos institutions ne comportent pas ; il lui faut, de plus, se protéger parfois contre les pilotes improvisés qui peuvent la mener effrontément aux écueils. L’effort de travail, qui évitera le retour des graves erreurs techniques, facilitera la défense contre les intrusions intempestives d’une politique désorganisatrice, parce que la marine, plus sûre d’elle, plus unie surtout, à la suite de consciencieuses études, sera plus à même de dédaigner ou de repousser les attaques injustifiées. C’est en s’appliquant à écarter le danger d’un Trafalgar que l’on calmera le mieux, par surcroît les tempêtes de la presse et les agitations de la rue Royale.


L. E. BERTIN.