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n’accepter à son service que les meilleurs ; le rêve fut sans lendemain, et la disette des cadres interdit à l’Etat de se montrer difficile. Mais au moins aurait-on pu espérer que ces vocations, une fois enrôlées pour la grande œuvre d’enseignement, s’y consacreraient avec une scrupuleuse vigilance, que d’elles-mêmes, par une sorte d’instinct de protection, elles préserveraient leur intégrité contre les tentations du dehors, et que l’instituteur, docile aux paroles expresses de Jules Ferry, éviterait « le terrain de la politique militante et quotidienne, de la politique de parti, de personnes, de coteries. » Il est douloureux de constater qu’à cet égard encore les espérances de Jules Ferry furent déçues.

On n’était séparé que par quelques mois des élections de 1881 : ministre de l’Instruction publique, il avait en même temps la présidence du Conseil ; il devait aviser, tout ensemble, à la formation du personnel primaire et à la victoire de l’idée républicaine. Mais il voulait que, dans les mêlées électorales auxquelles il allait présider, l’école demeurât sereine : il profita d’un congrès pédagogique pour dédoubler sa propre personnalité, et pour affirmer aux instituteurs qu’en tant que chef du cabinet, chargé de diriger les élections, il ne demandait rien à leur zèle et même n’en voudrait rien accepter.


Le président du Conseil, déclara-t-il, se croirait déshonoré s’il sacrifiait l’une de ses responsabilités à l’autre, s’il faisait jamais de l’école la servante de la politique, et c’est la République elle-même qui pourrait être singulièrement compromise, si l’on pouvait dire : « Voilà un gouvernement qui fait des élections avec les instituteurs, comme ceux qu’il a remplacés ont essayé de le faire avec les curés ! » Messieurs, cela, nous ne le souffrirons pas ! Nous aurons à présider à cette grande consultation du pays d’ici à peu de mois ; s’il se rencontrait des administrateurs indiscrets, s’il se trouvait, — ce qui est peut-être plus vraisemblable, — des candidats trop pressans, vous leur répondriez : « Notre ministre ne le veut pas ! »


Chargé de préparer et d’assurer la prochaine majorité parlementaire, Jules Ferry ne cédait point à la tentation de mobiliser à cet effet toutes les forces nationales, et si les ardentes supplications qu’il adressait aux congressistes étaient demeurées dans la mémoire des instituteurs, et dans la mémoire surtout de ses propres successeurs, le personnel scolaire aurait vraisemblablement fait moins de bruit dans la politique, et plus de besogne dans les écoles.

Mais l’oubli dans lequel tombèrent ces avertissemens s’explique,