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d’être indépendant ? Ce ne sont pas, assurément, les préfets, pour qui c’est faute mortelle, parfois, de se montrer inattentifs ou rebelles aux désirs de certains élus.

D’ailleurs, lorsque, en 1889, la République se crut menacée, le ministre de l’Instruction publique, — c’était alors M, Fallières, — signifia aux instituteurs, par une circulaire, qu’ils ne devaient point « se retrancher dans une sorte de fausse impartialité professionnelle, et qu’ils ne devaient point revendiquer le droit de tenir publiquement la balance égale entre la République et ses ennemis. » On devine que les préfets, chargés de la discipline des suffrages en même temps que de la conduite du personnel scolaire, eurent quelque crédit auprès de ce personnel lorsqu’ils donnèrent à la circulaire de M. Fallières les commentaires et la sanction qu’elle comportait ; et parmi les bousculades de la politique, on vit dès lors de trop nombreux instituteurs laisser péricliter leur dignité. Un directeur d’école normale, écrivant en 1894 à Félix Pécaut, notait en termes chagrins la conséquence de cette maladresse : « A vous parler vrai, lui disait-il, leur véritable et dominant principe, c’est qu’il faut se pousser, et que les recommandations font plus pour cela que tout le reste ; c’est la leçon que l’esprit général du pays, de la famille, de la politique locale, leur a donnée ; ils comprennent mal une langue différente ; un petit nombre seulement seront sensibles à l’attrait d’une noble cause à représenter, d’un grand intérêt national et moral à servir dans l’école primaire ! »

Ainsi parlait ce bon observateur ; et, de fait, la collaboration, rêvée par Jules Ferry, entre l’enseignement primaire et le gouvernement national, se réduisait souvent à n’être qu’un échange de services, — de services petits et mesquins, — entre l’instituteur qui votait et faisait bien voter, et le député légitimement reconnaissant.

Lorsque les circonstances politiques divisèrent le parti républicain contre lui-même, et lorsqu’il fallut opter entre deux nuances ou, pour mieux dire, entre deux orientations, il advint à certains instituteurs d’être poussés, par une fatalité chaque jour plus incoercible, à devenir, dans la République, les hommes d’une coterie : le radicalisme, puis le socialisme, cherchèrent à l’école leurs agens. Une fête se donnait, en mai 1901, pour les groupemens amicaux d’instituteurs de la Seine, de