Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et, en conséquence, on ne se lasse point d’étudier « les points obscurs de la vie de Molière ; » mais, pour ce qui est d’essayer, après cela, d’en tirer quelque clarté nouvelle sur le Bourgeois gentilhomme, ou sur Monsieur de Pourceaugnac, il semble que l’on s’en remette, l’un après l’autre, à une prochaine occasion ! On nous a donc amplement conté les infortunes conjugales de Molière, en y attachant peut-être un intérêt que leur banalité ne justifiait point ; mais on a négligé d’examiner si ces infortunes, en même temps qu’elles troublaient la vie publique et privée de Molière, n’auraient pas altéré, pour un moment du moins, la lucidité de son génie. Il y avait là pourtant des suppositions à faire, de toute nature, et même des sottises à dire, dont je suis surpris que les Moliéristes n’aient pas saisi le prétexte avec leur avidité coutumière.

Les dates, pour une fois, les auront peut-être gênés. C’est en 1662 [février] que Molière a épousé Armande Béjart, — entre les Fâcheux, [août 1661] et l’École des Femmes [décembre 1662], — et on peut, si l’on le veut, faire de galantes conjectures sur ce que cet intervalle de dix-huit mois est la plus longue interruption de production qu’il y ait dans toute la carrière de Molière ; et, en effet, dans ses années fécondes, il donnera jusqu’à trois pièces, en 1668 par exemple, qui verra paraître Amphitryon [janvier], Georges Dandin [juillet] et l’Avare [septembre]. Il n’y a pas trace d’inquiétude conjugale dans l’École des Femmes ; et, si l’on tient compte de ce fait que l’acte de baptême du premier enfant de Molière est de février 1664, et celui du second, sa fille, du mois d’août 1665, on admettra sans doute qu’à cette date, quoi qu’en disent les sales pamphlets du temps, les coquetteries d’Armande n’avaient pas éveillé sa jalousie de mari. Or, les trois premiers actes de Tartufe ont été joués à Versailles en mai 1664, et la première représentation de Don Juan est de février 1665. Il est vrai que le Misanthrope est de 1666, du mois de juin, et qu’indépendamment des vers passionnés où il semble que Molière s’exprime par la bouche d’Alceste, les contemporains reconnurent, dit-on, Mlle Molière, dans le personnage de Célimène, qu’elle jouait « d’original. » « La comédie du Misanthrope en dit long, — écrit là-dessus M. Paul Mesnard, — si l’on n’y conteste pas l’intention de Molière d’y décharger son cœur. » Mais précisément on peut la contester, si, comme nous l’avons fait observer ailleurs, quelques-uns des vers les plus passionnés du Misanthrope sont empruntés à Don Garcie de Navarre ; et si Célimène peut bien avoir quelques traits de Mlle Molière, mais ni plus ni moins que Tartufe en a, nous dit-on, quelques-uns de l’abbé de Roquette, ou