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quand il s’agit de préciser le caractère du Misanthrope. Ici encore nous nous écartons des conventions ordinaires de la comédie, je dirais volontiers de la convention fondamentale, qui est qu’elle doit bien finir, et que c’est là d’abord ce qui la distingue de la tragédie

Une dernière observation vient à l’appui de celles qui précèdent. Nous avons parlé jusqu’ici comme si, dans la production de Molière, les trois premiers actes de Tartufe avaient été suivis immédiatement de Don Juan, et Don Juan du Misanthrope. Et cela est vrai ! sauf cependant que l’Amour Médecin s’intercale entre Don Juan et le Misanthrope ; et que le Misanthrope, à vingt ou vingt et un jours de date, a été suivi du Médecin malgré lui, qui sans doute est l’une des plus joyeuses bouffonneries de Molière. Quelques ennuis que lui valussent en ce temps-là les coquetteries d’Armande, auxquels il faut ajouter ceux qui provenaient des obstacles que l’on continuait d’opposer à la représentation publique de Tartufe, ils n’avaient donc ni tari ni troublé la source de sa gaîté : j’entends la gaîté de l’auteur et non de l’homme. Il est permis, je crois, d’en conclure, avec une pleine assurance, que si Tartufe, Don Juan, et le Misanthrope se distinguent, dans l’ensemble de l’œuvre, par quelques traits particuliers, l’origine n’en est point imputable aux « circonstances ; » mais il y faut bien voir un effet de la volonté de Molière. Molière, en son Tartufe comme en son Misanthrope, a voulu faire « autre chose » que dans l’École des Femmes ; il a voulu rapprocher la comédie de la réalité de la vie, la rendre plus « sérieuse » en ne lui ôtant rien de ce qu’elle comportait de « plaisant ; » il a voulu lui faire porter, en quelque sorte, plus de pensée qu’elle n’en avait soutenu jusqu’alors ; il a voulu, conformément à l’ambition qu’il avait exprimée dans la Critique de l’École des Femmes, l’égaler à la tragédie pour l’importance des intérêts qui s’y agitaient ; et nous disons qu’étant Molière, s’il n’y a pas réussi, c’est que son génie s’est heurté aux bornes infranchissables du « genre. »

C’est ce qui explique également qu’en dépit de toutes les critiques qu’on en a faites et qu’on en fera, deux au moins de ces pièces énigmatiques et obscures, Tartufe et le Misanthrope, n’en demeurent pas moins les chefs-d’œuvre de Molière. Oui, — pour ne rien dire de ses farces immortelles, du Médecin malgré lui, puisque nous venons de le citer, ou du Malade imaginaire, — oui, l’École des Femmes est plus gaie que Tartufe, et les Femmes savantes ont, en leur correction, je ne sais quoi de plus classique que le Misanthrope ! Alceste ne nous fait pas rire ! et Tartufe nous effraierait ! Les grammairiens pourront ajouter que, si la phrase poétique de Molière est quelquefois embarrassée,