Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parmi ses anciens compagnons ! Tu verras comme son mal se propagera vite ! » Et le choix de Zacharie était tombé sur le jeune Frantz.

C’était le fils unique d’une veuve, dont la maison touchait à celle du sorcier. Il était né dans le village et y avait grandi, en compagnie d’une orpheUne, Bertha, que sa mère avait recueillie par charité mais, avec un cœur excellent, il avait l’esprit vif, l’humeur vagabonde, et Zacharie n’eut pas de peine à éveiller en lui la curiosité de ces villes dont il ne cessait pas de lui vanter l’agrément. La veuve elle-même se laissa convaincre par les belles paroles de Zacharie : elle permit à son fils de se mettre en route, sous la garde de leur savant voisin ; et il n’y eut que la petite Bertha qui, au moment des adieux, aperçut un sourire méchant sur les lèvres du compagnon de son cher François. » Vous êtes une mère sans cœur, — dit-elle à la veuve, dans l’excès de son chagrin, — et vous avez livré votre fils au diable ! » Sur quoi la veuve, furieuse, la chassa de chez elle.

Heureusement Bertha avait, dans le village, une vieille tante qui savait un peu de magie. « Ton ami est perdu si tu ne viens à son secours ! lui dit la vieille femme. Prends cette bague : il te suffira de la baiser pour qu’aussitôt tu obtiennes un de tes désirs ! » Bertha prit la bague : elle souhaita de revêtir la forme d’un jeune cavalier et de rejoindre les deux voyageurs ; et il lui suffit de baiser la bague pour que son souhait se réalisât.

Son amour pour Frantz lui avait inspiré un projet que n’eussent point inventé les plus fins psychologues. Elle avait résolu de faire en sorte que toujours, au moment où le jeune homme serait sur le point d’oublier son village natal, quelque chose s’offrît à lui qui le lui rappelât. Et mainte fois, de par le vaste monde, Frantz fut sur le point de rompre le dernier fil qui rattachait son âme au Village à l’Ombre : mais tantôt, dans un bal de cour, une danseuse inconnue lui prenait le bras, plus belle encore que la fille du roi, qu’il venait de quitter, et lui décrivait, en pleurant, le tranquille vallon où elle était née ; tantôt c’était, dans un concert, un joueur de flûte, arrivé l’on ne savait d’où, qui lui jouait une des chansons que Bertha et lui avaient, autrefois, appris à chanter. Une nuit, enfin, Frantz, à qui déjà son existence nouvelle avait ôté le sommeil, entendit, derrière la porte de sa chambre, comme un bruit de sanglots ; il courut ouvrir, et, cette fois, ce fut sa chère Bertha elle-même qui lui apparut. « Voici plus d’un an que je te suis partout, lui dit-elle, en prenant toutes les formes pour essayer de t’arracher à ce vilain sorcier, qui veut perdre ton âme. Mais, à présent, je n’en peux plusl J’ai le mal du pays ! Il faut