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mande, et n’ayant évidemment aucune habitude de la profession où les a lancés le concours du journal berlinois. Et ainsi le nouveau recueil, quand il a fini de nous amuser par l’ingéniosité de ses récits et la verve un peu brutale de l’illustration que l’on y a jointe, a encore de quoi nous instruire comme une leçon de choses, comme un précieux document ethnographique, — j’ajouterais volontiers : comme un chapitre imprévu de littérature comparée.


La première conclusion qui semble résulter de cette lecture, c’est que le peuple allemand, dans ses classes inférieures et moyennes, est singulièrement bien doué pour le travail littéraire. J’ai eu l’occasion de lire, depuis dix ans. à peu près tous les recueils de contes qui ont paru, en France ou à l’étranger : j’en ai certes rarement trouvé un qui eût le charme, la variété, la remarquable valeur poétique de ce recueil allemand, écrit en majeure partie par des institutrices ou des commis de bureau. J’ai lu aussi, une ou deux fois, des nouvelles couronnées dans des concours, à Paris, à Londres, à Milan, à New-York ; j’y ai vu quelques morceaux assez agréables, mais l’ensemble m’a paru d’ane pauvreté désolante. Et enfin je me rappelle les extraordinaires Souvenirs de l’ouvrier Fischer, avec la grandeur toute classique, toute bibhque, de leur style. Un autre ouvrier allemand vient de publier, à son tour, le récit de sa vie : son livre est loin d’égaler celui de Fischer, mais là encore, les images sont nettes et colorées, la langue a une précision savoureuse, dans sa simplicité. Serait-ce donc que, en effet, le peuple allemand possède, à un plus haut degré que les autres peuples, le génie littéraire ? Ou bien, peut-être, ne serait-ce pas simplement que, chez lui, les dons intellectuels, comme aussi l’imagination, et la sensibilité, se trouvent répartis plus également entre toutes les classes sociales, de telle manière qu’en Allemagne l’ouvrier, par exemple, écrive mieux qu’ailleurs, mais non pas le critique ou le romancier ?… Question trop difficile pour que je puisse songer à la résoudre ici, en passant !

Mais une seconde conclusion, beaucoup plus certaine, ressorl pour nous de la lecture de ce recueil de contes : c’est que, entre tous les genres httéraires, il n’y en a pas qui réponde aussi bien que le conte au génie naturel de la race allemande. Au reste, nous le savions déjà. L’histoire de la littérature allemande nous l’avait appris, avant que le journal hcrhuois eût l’idée d’organiser son concours. Non seulement le conte a toujours été, en Allemagne, le genre le plus populaire ; depuis le moyen âge jusqu’à la période romantique,