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exemple les Baux en Provence et San Gemignano près de Sienne. Leur pittoresque amuse notre goût ; mais Mystra gonfle mon âme de poésie. Un oranger qui verse ses pommes sur des mâchicoulis met devant mes yeux, soudain, le sérail des petites-filles d’Hélène, où de rudes Champenois, mes frères, perdirent leurs forces, et reçurent un peu de l’antique culture. Voici l’un des harems où nos chevaliers s’engourdirent. Mieux encore, voici le château suscité par la magie auprès du palais de Ménélas pour abriter les amours d’Hélène et de Faust.

En gravissant les pentes du Castro, je reconnais les décors du second Faust, de la même manière que, le soir où j’ai visité Combourg, je voyais, je touchais, bâti en solides pierres, le premier chapitre des Mémoires d’Outre-Tombe.

C’est ici, nulle part ailleurs, que Faust put posséder Hélène. C’est à travers ces ruelles tortueuses que la Tyndaride, fuyant le palais peu sûr de l’antique Sparte, a trouvé son refuge chez le guerrier gothique.

L’enfant né de leurs amours, Euphorion, sur les décombres, devant moi, bondit et danse : « Toujours plus haut ! Je dois monter ! Toujours plus loin ! Il faut que je voie… À présent, laissez-moi bondir ! M’élancer dans les airs est mon désir ! Je ne veux pas fouler la terre plus longtemps. » D’église en chapelle, en mosquée, en palais, en couvent, à travers les citernes béantes et sous les pierres qui s’effondrent, vers le sommet, vers le Castro, je suis attiré invinciblement. À mesure que je m’élève, les ruines sont plus désertes, mais aussi plus écussonnées. Ce qui ne change point, c’est la misère : en bas, misère atroce et parfumée, en haut misère brodée. Parmi ces décombres d’histoire et d’art, je vois courir quelques cochons, le grouin à terre, et des poules que le soleil fait belles comme des faisans. Je m’arrête sur une place plus vaste où de hautes murailles aux tours crénelées sont les vestiges du palais des despotes byzantins. Puis, d’espace en espace, par la brèche ou bien sous un arceau qui branle, je franchis les murailles flanquées de tours, qui composaient les diverses lignes de la fortification.

Cette montagne est construite comme une intelligence. Des débris de toutes les époques et des races les plus diverses y prennent une couleur d’ensemble ; ils sont tapissés, reliés par un lierre vigoureux où bourdonnent les abeilles.

J’atteignis enfin le sommet de la citadelle. Au milieu des dé-