Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsqu’on se prend à étudier de près l’œuvre et la personnalité des esprits représentatifs, à quelque époque qu’on les choisisse d’ailleurs, on a fréquemment la surprise de se trouver en présence d’anomalies frappantes et de bizarreries inattendues. C’est de semblables expériences critiques qu’est issue la doctrine des Lombroso, des Nordau, empressés à signaler dans le génie un phénomène d’ordre pathologique. En Allemagne, le docteur Mœbius, qui est à la fois un psychiatre estimé et un lettré averti, s’est fait une spécialité de ces études médico-philosophiques : le dieu Gœthe lui-même n’a pas échappé à son scalpel, qui, en outre, a fouillé çà et là, dans le musée anatomique des grands hommes, la matière cérébrale des Rousseau, des Schopenhauer, des Nietzsche. En France, le docteur Toulouse s’efforça jadis d’utiliser dans le même dessein les confidences directes de quelques célébrités complaisantes à son investigation, et l’on n’a point oublié son fin et curieux travail sur Emile Zola.

En ces délicates matières, la réussite est une question de mesure et de goût. Sans suivre en aveugle les guides, trop audacieux parfois, qui explorent à leurs risques et périls le terrain ardu de la psycho-pathologie des grands hommes ; sans nous laisser entraîner à leur suite vers des régions mal connues jusqu’ici, semées de mystères et de périls, il faut leur savoir gré de leurs audaces souvent fécondes, les accompagner même à l’occasion sur leur voie aventureuse d’un pas prudent et mesuré. Or peu d’écrivains se prêtent à l’exploration analytique aussi complaisamment qu’Henri Beyle, qui n’a cessé de parler de lui dans ses livres et de s’étaler sous les yeux du public. N’est-il pas tentant de profiter de sa loquacité infatigable pour demander à ses singularités constitutionnelles, disons même à ses tares originelles, le secret de l’énigme dont il a posé volontairement les termes, peut-être compliqué de son mieux les données, à l’intention d’une postérité qu’il pressentait devoir se complaire à en chercher la fuyante solution ?

Aussi bien, l’opinion publique, en dépit des nombreux travaux qu’a suscités la psychologie de Stendhal, semble encore assez mal éclairée sur son caractère Et comment ne resterait- elle pas hésitante ? Certains fervens de Beyle, témoins agacés des déliquescences contemporaines, ont cru pouvoir le proclamer, par comparaison sans doute, un « bien portant » avéré, entendant même « donner à cette constatation physique la valeur