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de la peinture en Italie : entreprise au-dessus de ses forces, élan qui le laissa bientôt sans souffle et sans haleine. Il se soutient alors tant bien que mal par le café à haute dose, travaille dix heures de suite, ou, tout au contraire, marche huit heures sans répit, et rentre anéanti pour prendre quatorze heures de sommeil. Cette hygiène défectueuse amène des » accès de nerfs. » « Le mal de nerfs est venu… quatre heures sur mon lit… Le trop d’attention pour Michel-Ange m’a donné des nerfs si fort que, depuis dix jours, je n’ai rien pu faire. » Parfois aussi, c’est un cri de triomphe : « Pas d’attaque de nerfs depuis onze jours. »

L’état de l’atmosphère exerce, on le conçoit, la plus grande influence sur un appareil sensitif aussi délicat. Qui donc, s’exclamera notre homme, pourrait aimer Corrège à Paris, lorsqu’il fait un vent de Nord-Ouest ? Ces jours-là, il faut lire Bentham ou Ricardo. L’Italie a ce privilège entre tant d’autres qu’on n’y connaît jamais « cette sensation du vent de Nord-Est qui donne de l’humeur. » Et les heures de la journée offrent aussi leur nuance psychique particulière, triste ou rassérénée : « Quand on mange, les nerfs agacés sont remis. » C’est pourquoi, après une contrariété imprévue, il faut attendre pour retrouver son équilibre « jusqu’à la révolution morale qui suit le prochain repas. » Comment donc s’étonner que les médecins d’un tel malade l’aient toujours traité avec plaisir, a comme étant un monstre pour l’irritabilité nerveuse. » La moindre odeur, « excepté les mauvaises, » affaiblit son bras et sa jambe gauches, et lui donne envie de tomber de ce côté[1].

À de si évidentes tares physiologiques, Beyle joignait, il est vrai, l’aspect de la vigueur physique, contraste qui trompa ses contemporains, — et lui-même peut-être, — sur le caractère réel de son tempérament. Ses camarades de collège l’appelaient la « Tour ambulante, » ses frères d’armes le nommaient au régiment le « Chinois, » ou le « Grand Égyptien. » Il avait, écrit son cousin Colomb, les formes athlétiques de l’Hercule Farnèse : cou bref, épaules larges, ventre proéminent, jambes courtes, démarche assurée. Or, une pareille structure fait l’aspect lourd et vulgaire, mais elle permet en revanche de se voir et de se donner à l’occasion pour un « lion malade » à la crinière sombre et bouclée, aux yeux de feu pareils à deux diamans noirs. Nous

  1. Souvenirs d’égotisme, p. 80.