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témoigneraient encore de l’existence d’un ancien moutier. Mais, de substructions pareilles, il ne se voit aucun vestige à l’Île aux Moines. Le nom breton de l’île, d’ailleurs, est très différent de son nom français : ar Gentilès.

— Peut-être, insinue l’un de nos bateliers, René Le Merrer, dit Pot-Coz, ce nom lui a-t-il été donné à l’époque de la grande Révolution. J’ai connu un vieux Ploumanacain, Noël Le Goff, qui se souvenait d’y avoir transporté des moines réfractaires en 93 : ils gagnaient de là Jersey sur des bateaux anglais.

L’explication est ingénieuse et je m’y rallierais volontiers ; mais elle n’est pas du goût de la vieille Lhévéder, qui, terrienne et Trégastelloise, nourrit contre les Ploumanacains une haine proprement féroce,

— Tais-toi donc avec tes moines, Pot-Coz ! s’écrie-t-elle brutalement. Comme si l’on ne savait pas au juste ce que toi et les tiens vous faites des gens qui vous confient leur existence !

— Par exemple ! proteste Pot-Coz.

— Oui, oui ! Est-ce que tu as oublié le gvverz du capitaine La Ghesnaie, d’aventure ? Veux-tu que je te le chante pour te rafraîchir la mémoire ?

— C’est ça ! c’est ça ! disent les filles en battant des mains. Le gvverz du capitaine La Ghesnaie, Mône !

— Alors, mes princesses, passez-moi la bouteille, car j’ai la voix un peu rouillée ce matin…

— Oh ! la rouée commère ! disent les hommes en riant. Ne bois pas tout du moins, Mône !

— N’ayez pas peur, réplique la vieille, qui, après avoir aspiré au goulot une longue lampée de la sauvage liqueur et s’être essuyé la bouche du revers de la main, se tourne vers son auditoire et commence sur un ton nasillard :

« M. La Ghesnaie disait — en errant sur la Gentilès : — « Je vais tracer sur un bout de planche — mon nom et ma croix d’extrême-onction ( ?). — Du côté de Perros si l’épave est trouvée, — des messes seront dites à mon intention. » — Du côté de Perros l’épave ne fut pas trouvée ; — c’est du côté de Ploumanach qu’elle aborda. — Les Ploumanacains ne l’eurent pas plutôt aperçue — qu’ils mirent à la voile vers la Gentilès. — Le capitaine La Ghesnaie « bonjourait » — les Ploumanacains sur son île : — « Vous n’avez qu’à me mener à Ploumanach, — je vous donnerai la moitié d’un plein sac d’argent. » — De cette