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unique un souvenir qui sera celui des heures les plus horribles qu’elle ait vécues. Nous croyons fermement que, par delà la mort, nous continuerons de vivre dans la mémoire et par le regret de ceux qui nous ont aimés. La vérité est que nous pouvons disparaître, sans que rien soit changé dans le train des choses, et rien dans la vie même de ceux à qui nous croyions être le plus indispensables : notre trace est déjà effacée sur le chemin où nous allions, voyageurs inutiles. Ce qu’il y a de plus naturel dans l’ordre des sentimens, c’est la tendresse des pères et des enfans : écoutez donc ce fils et ce père s’invectiver l’un l’autre, et les termes de mépris, de colère, de haine se heurter dans ce dialogue familial. Nous admirons la fidélité aux principes traditionnels : voyez-la personnifiée par ce despote aveugle, cruel, sanguinaire, auquel ses sujets ont infligé ce surnom : le Prince Rouge. Nous imaginons qu’il y a une pitié généreuse, un respect de la vie humaine à la base des théories humanitaires où s’attendrit l’âme des extrêmes civilisés : écoutez quel secours opportun elles prêtent aux défaillances d’un dégénéré soucieux avant tout de se dérober à un devoir. Nous nous sommes habitués à faire de la volonté la faculté essentielle, directrice de la vie et maîtresse de la destinée : le fait est que nous sommes les jouets de l’accidentel et que tout dépend de l’occasion. C’est de toutes ces déceptions, de toutes ces vanités, de toutes ces ironies qu’est faite la trame de notre existence. — Et combien n’est-il pas curieux encore de suivre, dans le Réveil, le progrès qui s’accomplit dans la pensée de M. Paul Hervieu et dans sa philosophie pratique. Longtemps il n’avait pas dépassé les constatations décourageantes où se plaisait son humeur d’observateur misanthrope. Il s’était borné à démasquer les hypocrisies, à déconcerter les conventions, à étaler devant nous les ruines des plus chères entre nos illusions. Mais cependant, pour que l’humanité dure, pour qu’elle continue d’agir et d’espérer, il faut qu’il y ait en elle un principe de vie, un élément solide et durable, quelque chose qui subsiste malgré la déroute de tous les rêves et l’évanouissement de toutes les chimères. M. Hervieu arrive à le comprendre. Et la conclusion de ses deux dernières pièces, ébauchée dans le Dédale, précisée dans le Réveil, est un acte de foi dans le bienfait de la famille.

L’interprétation du Réveil a été pour M. Mounet-Sully l’occasion d’un de ses plus beaux triomphes. Il a été de tous points admirable dans le rôle du vieux roi. Ce qui est ici la marque du grand artiste, c’est la sobriété avec laquelle il a joué ce rôle, et c’est le caractère de noblesse simple qu’il a su y imprimer. Il a compris merveilleusement