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sans doute, et presque matériel, mais c’est pourtant le signe aussi, pour ne pas dire le symbole, d’un accord trop souvent imparfait entre le verbe et le son.

Voilà pour la poetical basis : pour le rapport de la musique avec les paroles, avec les sentimens, avec les âmes. Mais la practical basis, mais cette musique elle-même, cette musique en soi ? Eh bien ! avec autant de force et de solidité, on lui voudrait moins de poids et d’épaisseur, plus d’air, de jour, de vie et de flamme, le charme et la grâce, les pieds divins ou les ailes. On aimerait que l’orchestre ne fût pas aussi dense, aussi lourd, et qu’il ne procédât pas constamment, comme la vague en ses fureurs, par masses et, passez-nous l’expression, par paquets sonores. On regrette aussi que l’auteur de lieder anciens déjà, mais demeurés délicieux (relisez les Soirs d’été, sur des vers de M. Paul Bourget), ne nous ait donné dans ces trois actes (au premier), que la mélancolique chanson du pêcheur débrouillant ses filets. On voudrait encore que la mélodie maîtresse, — Urmelodie, aurait dit Wagner, — celle de l’amour, fût, par elle-même et dans son développement, d’une plus saisissante originalité. Enfin nous serions tenté d’adresser à M. Widor, un peu comme un reproche, la question de Mignon : « Kennst du das Land ? » Comment, s’il voulait être le musicien du pays basque, n’a-t-il pas connu la musique de ce pays, celle de son Océan, de ses montagnes et de son ciel ; celle de ses jeux, de ses danses et de ses prières ; celle de ses passions, de ses colères et de ses amours ; celle de sa mélancolie, et celle, presque aussi grave, de sa joie ! Les pêcheurs que M. Widor nous a fait entendre et nous ajouterons, non sans un peu de surprise, que M. Albert Carré nous a fait voir, sont peut-être de Dunkerque ou du Crotoy, d’Étretat ou de Fécamp. Ils ne sont pas de Saint-Jean, ils ne sont pas les fils de l’étrange, poétique et mélodieuse Euskarie.

L’ouvrage de MM. Cain et Widor a trouvé deux remarquables interprètes. Le premier, dans le rôle de Jacques, est M. Salignac. Sa voix de ténor est chaleureuse, pathétique, et son jeu ressemble à sa voix L’autre est M. Ruhlmann, un chef d’orchestre nouveau. Par lui, s’il tient de si belles promesses, la jeunesse et la vie de quelques chefs-d’œuvre pourrait bien être renouvelée.

Mais dans la mise en scène, dans le décor surtout et dans le costume, dans l’ensemble comme dans le détail du spectacle, pourquoi n’avons-nous pas retrouvé le goût et l’art, la beauté de la forme et de la lumière, le concours et quelquefois le secours apporté par ce qu’on voit à ce qu’on entend, le charme enfin et les délices des yeux, dont