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dirait qu’elles ne peuvent s’endormir sans qu’un pantin sur leur cœur n’agite ses grelots. Mon souper fini, je n’ai que deux pas à faire et je suis à la foire. La foule s’engorge dans des rues étroites que ne traversent point les kurumaya. Aucun règlement de police ne le leur défend ; mais, depuis que Kyôto est Kyôto, ils ne les ont jamais traversées. Elles appartiennent de temps immémorial aux amuseurs et aux gens amusés.

Les boutiques et les baraques sont pavoisées de lanternes qui répandent une lumière aussi douce que le bruit de la foule est sourd. Seuls, quelques rares magasins à l’européenne, les échoppes de barbiers et les librairies jettent une clarté plus vive. Je crois qu’au Japon, les barbiers rasent surtout la nuit. J’ai vu souvent à deux heures du matin, dans des carrefours sombres et déserts, derrière une devanture illuminée, des hommes imperturbables qui trouvaient naturel de présenter leurs joues au rasoir un peu avant que le jour se levât. Quant aux librairies, dont les rayons bariolés s’étalent jusqu’au ras du sol, je ne connais pas de pays où elles soient aussi nombreuses. On en compte presque autant que d’édicules sacrés.

Mais les attractions de Kyôto qui me plaisent le plus, ce sont les théâtres populaires, des théâtres disposés comme ceux de nos foires et où l’on donne des comédies comme chez nous. La première fois que j’y entrai, je me trompai de porte et je fus m’asseoir dans une baraque de sauvages. On les avait amenés de je ne sais quelle île du Pacifique : moi, j’aurais juré qu’ils venaient de Montmartre. Ils étaient plus grands et mieux pris que les Japonais. Leurs fines moustaches ne ressemblaient point aux barbes des chats. On pouvait attribuer la couleur de leur peau à du noir de fumée. La régularité de leurs traits et la belle ordonnance de leur dentition auraient satisfait nos préjugés esthétiques. J’eus le vague sentiment de retrouver des compatriotes dans ces hommes si habiles à lécher du fer rouge et à traverser des cerceaux enflammés. Et il me sembla que mes voisins ne manqueraient point d’établir entre nous des comparaisons fâcheuses pour mon amour-propre. Bref, je fus gêné. Mais je recouvrai toute mon assurance, lorsque, seul de me taille et de mon type au milieu de l’aimable foule de Kyôto, j’assistai, dans le théâtre voisin, à la comédie qui la désopilait.

Le premier acte se passait chez un charpentier. Deux