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et il la fit en belle robe jaune, la tête ronde et rase, le front sourcilleux, les yeux baissés sur ses grosses lippes, lui, le pleutre, le paillard, le fripon, le papelard, l’inépuisable joie de la foule, le bonze ! La femme du charpentier le suivait en le tirant par la manche : « Tout à l’heure, répétait-elle, une femme viendra. Vous lui direz que mon gendre est mort et enterré là… — Y pensez-vous ? répondait-il. Moi, lui dire… Et quelle personne, je vous prie ? — Une oïran, une ancienne oïran. — Hé vraiment ! Une oïran !… Et vous voulez… « Derrière son dos, sa main s’ouvrait comme une écuelle. La femme du charpentier n’y laissa point tomber sa bourse. C’eût été de la dernière inconvenance. Mais elle y déposa le contenu de sa bourse enveloppé de papier blanc.

Lorsque la petite dame du Yoshiwara pénétra dans le cimetière, le bonze à genoux sur sa véranda, les yeux fermés aux séductions du monde, marmottait des litanies. La petite dame, qui n’osait l’interrompre, se tenait devant lui, et, de temps en temps, se détournait vers les tombes. Et chaque fois qu’elle se détournait, le bonze soulevait ses paupières, et, tout en bredouillant ses oraisons, coulait vers elle des regards chargés de concupiscence. Enfin, il daigna l’entendre et la mener lui-même au tombeau de son fiancé. Quand elle y fut, son courage capitula : elle s’abattit sur la pierre et s’abîma dans les larmes, pendant que le bonze, visiblement excité, en profitait pour la cajoler et lui tapoter les épaules. Mais elle s’écria : « O cher ami, se peut-il que tu te sois endormi sous les hautes herbes, au moment où je t’apportais toutes mes économies, trois cents yen ! »Et à ces mots de trois cents yen, le visage du bonze grimaça d’une telle convoitise que le public se trémoussa d’aise. Ses mains, changeant et redoublant d’audace, se faufilèrent dans les manches de la petite dame qui, tirée de sa douleur, se mit en état de défense. Que fût-il advenu, si le gendre du charpentier, averti par son brave homme de beau-père, n’était tout à coup ressuscité au milieu des tombes ?

Nous n’aurions probablement pas eu le touchant spectacle que nous réservait le quatrième acte. Le gendre assis entre sa femme légitime et sa légitime maîtresse, qui se faisaient force gracieusetés, buvait à la santé de l’une et à la santé de l’autre. La belle-mère, un peu honteuse de sa conduite, leur versait du saké ; et le bon charpentier jubilait sans rien dire, comme si la