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s’il rencontra le prêtre ; mais le temple de Yoshida, peint de blanc et de vermillon, luit délicieusement à mi-côte, et, comme j’y montais, je l’en vis redescendre toujours chargé de son étrange fardeau.

L’après-midi, le fils de mon hôtesse le reconnut beaucoup plus loin, dans le jardin du monastère de Rokuonji, rôdant sous les pins et sur les bords du lac dont les carpes accourent comme des servantes aux claquemens de mains des visiteurs… Nous ne le vîmes rentrer qu’à la tombée du soir. Il n’avait pas voulu se séparer de son petit mort, avant de l’avoir promené autour des merveilles de sa ville, dans l’ombre des sanctuaires et dans le sourire des dieux.

L’église catholique se dresse au bout de ma rue. Son curé, le Père Aurientis, habite la résidence d’un seigneur que la légende ou l’histoire compte parmi les ennemis les plus acharnés du christianisme. La ville des dieux s’est enfin montrée tolérante et hospitalière au Dieu de l’Occident. Nulle part, sauf à Nagasaki, la mission française n’est aussi bien logée. La maison, trop japonaise pour être rendue très confortable même à des missionnaires, possède cependant une grande et belle pièce vitrée qui ouvre sur le jardin. C’est là que souvent je viens m’asseoir. J’y retrouve la France sans quitter le Japon.

Le jardin, resté tel que l’avaient ordonné ses anciens maîtres, est planté d’arbres rares et de pierres étranges. Un petit lac en fer à cheval, où nagent des poissons rouges, en occupe les deux tiers. Le pont qui l’enjambe aboutit à une miniature de colline, et de magnifiques lotus en couvrent les bords. C’est par excellence le jardin de la pluie. Quand elle tombe, les lotus s’emplissent, s’inclinent et, d’urne en urne, se déversent dans le lac ; et, longtemps après qu’elle est tombée, ces larges urnes ruissellent encore. Presque chaque jour, à l’heure où j’arrive, le Père Aurientis achève de donner une leçon de français à quelques Japonais. Ces élèves mariés, pères de famille, officiers, fonctionnaires ou amateurs, désirent apprendre notre langue, et le Père Aurientis, qui a la taille d’un grenadier et dont le poil grisonne, leur met dans les mains ces mêmes choix de lectures qu’épellent nos