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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/647

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le paradoxe, prétendra-t-il que ce sont là, dans ces pays de race germanique ou anglo-saxonne et de tradition protestante, tout autant d’« infiltrations » de l’esprit latin ? On n’aurait alors qu’à lui rappeler l’exemple de l’autocratique Russie ou de la Turquie. La révocation de l’Édit de Nantes est, à n’en pas douter, un crime de lèse-patrie et de lèse-christianisme ; mais elle a été précédée de l’épouvantable répression qui, en Angleterre, a puni les innocentes victimes de la prétendue conspiration papiste de 1678 et d’ailleurs, quel est le pays du monde qui n’a pas eu ses révocations de l’Édit de Nantes ? La vérité est qu’aucun peuple, — non pas même les cantons de la Suisse protestante contemporaine, — en fait d’intolérance et de dogmatisme, n’a rien à reprocher, à ses voisins. Il ne faut accuser de cela ni le catholicisme, ni le protestantisme, ni même la mentalité « romaine, » mais tout simplement la mentalité… humaine. L’homme, que Rousseau croyait naturellement bon, — j’ai toujours pensé qu’il avait jeté ses enfans à l’hôpital pour se dispenser d’étudier sur le vif la réelle humanité, — l’homme naît au contraire naturellement intolérant et despotique ; quand il suit sa pente naturelle, c’est pour imposer ses idées et ses croyances, et pour dicter sa volonté ; et ce n’est que peu à peu, en réagissant contre sa nature, et sous l’empire d’une haute idée morale, — ou plutôt religieuse, — qu’il peut s’élever au respect vrai et effectif du droit et de la conscience d’autrui.

Ce respect d’ailleurs est-il inconciliable avec ce désir d’« unité morale » qui doit être lui aussi un des besoins impérieux de la nature humaine, puisqu’on le retrouve, plus ou moins épuré, plus ou moins pénétré de vraie charité, chez tous les peuples du monde et à toutes les époques de l’histoire ? M. Seippel paraît le croire : il a un tel culte de la liberté individuelle qu’il est en garde contre tout ce qui risque d’être un jour pour elle une entrave, une chaîne, une limite. Certes, la liberté est une fort belle chose et un très noble besoin. Mais encore faudrait-il savoir ce qu’on entend exactement sous ce mot qu’il est si difficile de définir et dont il est si facile d’abuser et de se griser. « O liberté ! s’écriait Mme Roland en montant à l’échafaud, que de crimes l’on commet en ton nom ! » Et de nos jours même, ne voyons-nous pas que, sous prétexte de sauvegarder la « liberté » de l’enfant, on supprime celle du père de famille, et qu’on les confisque toutes deux pour garantir celle du professeur