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viguier, le maire, les échevins, les assesseurs, conseillers du roi, et le lieutenant de police de la ville, s’unissent pour rappeler énergiquement l’obligation d’imprimer sur les savons, avant leur sortie de fabrique, la marque déposée au greffe. Quatre ans plus tard (mai 1791) la municipalité de Marseille, à la suite de plaintes répétées des consommateurs, promulgue une ordonnance dont l’esprit est curieux car, loin de résumer des doléances à l’encontre des règlemens de l’ancien régime, les considérans accusent sans cesse la négligence fâcheuse des antiques restrictions ; ils rappellent à l’ordre les savonniers peu scrupuleux qui cuisent en été et diluent leurs lessives à tel point qu’il se trouve dans les pâtes vendues autant d’eau surabondante que de savon, de manière que les filateurs de Nîmes ne peuvent plus décreuser leurs soies avec cette marchandise frelatée. Toutes les primitives défenses sont remises en vigueur, — fait peu banal et peut-être unique à cette époque, — et le corps d’inspecteurs est doublé par l’adjonction de quatre nouveaux délégués qui s’occuperont spécialement de faire des descentes dans les fabriques et de vérifier la loyauté des savons, marseillais d’origine ou importés. Un fabricant, le sieur Bernard, a indiqué une méthode très pratique en vue du dosage des corps étrangers, de l’humidité et elle sera appliquée par Besson et Deserre, chimistes officiels, aux échantillons suspects dont on aura fait saisie.

En lisant l’exposé du procédé, on a peine à croire qu’il s’agisse de chimie analytique et non de cuisine. Comme réactif, du sel ; comme matériel, un poêlon (sic), une écumoire. Certains détails opératoires, comme la conduite du feu, complètent l’illusion culinaire que dissipe à peine l’emploi de la balance et du filtre.

Les événemens cependant se précipitent. Dix années s’écoulent. Que devient la situation de la savonnerie de Marseille à l’aurore du nouveau siècle, au début du Consulat ? Un mémoire du 23 septembre 1801 nous renseigne à ce sujet : la savonnerie, par miracle, a pu se maintenir et ralentir un peu la décadence de Marseille. On compte 75 fabriques totalisant 331 chaudières, et chacun de ces récipiens, autrefois comme aujourd’hui, a cent « millérolles » de capacité moyenne (cette mesure locale inusitée de nos jours contient à peu près 60 litres). On emploie pour le travail annuel un véritable océan d’huile, — environ 250 000 milléroles, soit 150 000 hectolitres, — et cette huile paye malheureusement un droit total de 8 fr. 50 par millérole,