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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/692

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salicornes de la campagne romaine. Naturellement les grands établissemens dirigés par des industriels riches, intelligens et audacieux, résistèrent, tandis que, peu à peu, les petites usines sombrent les unes après les autres, à la suite d’épreuves répétées. Pour atténuer les risques qu’ils courent, plusieurs savonniers cherchent une compensation dans la fraude, en dépit des objurgations de la Chambre de commerce qui insiste périodiquement pour la restauration des antiques règles. Comme les huiles d’olive n’arrivent pas toujours régulièrement de Toscane ou de Ligurie, on fait intervenir en savonnerie les huiles de noix de Test de la France, on utilise même les graisses ; on additionne les produits de matières inertes ; on les « gonfle » d’eau.

L’Empereur, ému de ces plaintes, rend deux décrets. L’un, daté de 1811, impose l’obligation d’une marque, avec l’indication de la nature du corps gras générateur, du nom du fabricant, du lieu d’origine. L’autre, postérieur, accorde à la ville de Marseille l’usage exclusif d’un « pentagone » qu’on voit encore imprimé aujourd’hui sur les vrais savons marseillais à l’huile d’olive, faveur qui ne réussit guère à améliorer les rancunes du commerce de Marseille envers Napoléon Ier.

Millin, l’auteur d’un curieux Voyage dans le Midi de la France, en 1808, décrit sommairement les opérations de la savonnerie, il y a un siècle. La soude végétale est « décarbonatée » par la chaux, et lessivée à différentes reprises ; ces lessives, de force inégale, sont rationnellement mélangées et introduites par degrés dans les vastes chaudières au sein desquelles bouillonne l’huile. On cuit, on brasse, la pâte épaissie surnage ; on éteint le feu ; la liqueur est soutirée par un conduit inférieur ou « épine. » On rallume, on dissout le savon par l’eau chaude ; on ajoute encore de la lessive ; on recuit ; on éteint de nouveau ; on soutire pour la seconde fois. La pâte fluide puisée avec des seaux est coulée dans des « mises » en planches sur lesquelles elle sèche et durcit. En ajoutant du sulfate de fer, on obtient le savon veiné ou marbré. Trois livres d’huile doivent fournir cinq livres de bon savon, point trop aqueux, en l’absence de chaux, plâtre, ou argile.

La période de la Restauration, quoique très prospère pour le commerce en général, coïncide avec une crise savonnière assez grave. À cette époque, en effet, l’industrie de la soude factice prenait décidément son essor en Provence, au grand détriment