Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/717

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On sait que les élections anglaises durent environ trois semaines. Ce système, qui n’est pas sans inconvéniens, tient à des causes diverses, dont une des principales est que, le droit de vote étant attaché à la propriété, certains électeurs peuvent voter dans plusieurs circonscriptions, parfois éloignées les unes des autres. Chez nous le vote est personnel et unique ; en Angleterre il est souvent plural. Le système anglais est favorable à la constitution de fortes majorités. En effet, quand le mouvement de l’opinion s’est dessiné dans un certain sens, tout le monde y court : il se forme un entraînement général vers la victoire. Cela est arrivé une fois de plus. Dès les premiers jours des opérations électorales, M. Balfour, le neveu et l’héritier politique de lord Salisbury, le chef du dernier Cabinet conservateur, a été battu. Un pareil fait est extrêmement rare, s’il n’est même pas sans précédent en Angleterre. On trouvera sans doute une autre circonscription à M. Balfour. Un conservateur plus heureux que lui, et plus sur de ses électeurs, lui cédera sa place. On ne voit pas la Chambre nouvelle privée de sa présence et de son concours. L’échec qu’il vient de subir pourra être réparé dans ses conséquences matérielles ; mais les conséquences morales en ont déjà été très lourdes pour le parti conservateur qui se relèvera difficilement et lentement d’une pareille chute. Il a été atteint à la tête : un événement aussi grave ne pouvait manquer d’influer sur la suite des élections. L’arbre le plus élevé de la forêt a écrasé, en tombant, beaucoup d’arbustes autour de lui. Les élections ont pris, de jour en jour, le caractère d’une débâcle. La plupart des ministres de l’ancien Cabinet ont été frappés comme leur chef. Dans le naufrage des unionistes, M. Joseph Chamberlain, le ministre démissionnaire des Colonies, et son fils, M. Austen Chamberlain, ont pourtant surnagé. Ils ont même eu de fortes majorités, ce qui montre, en somme, que les Anglais aiment l’audace, la hardiesse, l’énergie pour elles-mêmes, presque indépendamment de la cause qu’elles servent. Ils ont trouvé ces qualités de leur race dans M. Chamberlain, et ne les ont pas reconnues au même degré chez M. Balfour.

M. Balfour est, assurément, un des hommes les plus distingués, non seulement de son parti, mais de son pays, qui compte peu d’intelligences aussi cultivées, peu d’esprits aussi sagaces et aussi subtils, peu d’expériences parlementaires aussi consommées. Malheureusement il a une tendance à aborder les difficultés de biais et à les résoudre ou à essayer de le faire par l’adresse, au lieu de les heurter de front et de les emporter, qu’on nous passe le mot, à la force des