Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/799

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nommer un titulaire, elle serait toujours libre d’en choisir un autre si je n’avais réussi ni auprès du public ni auprès d’elle. Au moment de la nomination définitive, le dernier mot lui resterait.

Je ne répondrais pas qu’au premier abord quelques esprits chagrins n’eussent pas essayé de me faire grise mine. Mais ces velléités rares, du reste, ne durèrent pas. J’étais le fils d’un universitaire très estimé ; docteur ès lettres depuis huit ans, je représentais une Faculté qui avait réussi et où je conservais ma chaire. Autant de raisons qui plaidaient en ma faveur. La meilleure de toutes était d’ailleurs la bienveillance habituelle et la parfaite courtoisie des professeurs de la Faculté des lettres de Paris. On aurait trouvé difficilement une compagnie mieux composée, d’une plus haute distinction. Je ne parlerai pas de tout le monde, n’ayant eu avec quelques-uns de mes collègues que des relations professionnelles. Mais ceux que j’ai bien connus, les anciens amis de ma famille ou mes anciens maîtres, méritent une place dans mes meilleurs souvenirs.

Celui de tous avec lequel j’avais eu antérieurement le moins de rapports, le doyen Victor Le Clerc, fut un de ceux qui me témoignèrent, non pas tout de suite, mais avec le temps, le plus de bonne volonté. C’était un érudit d’une science très sûre, étranger au monde, absorbé dans ses études, une sorte de moine laïque, qui ne sortait guère que par exception de sa cellule de la Sorbonne et n’ouvrait aucune de ses fenêtres sur la société contemporaine. Très Parisien cependant, mais Parisien du temps passé, épris de tous les souvenirs de la montagne Sainte-Geneviève, rappelant avec orgueil la place prépondérante qu’avait tenue dès le XIIe siècle l’enseignement de la littérature française. Personne n’a plus fait que lui pour réhabiliter nos écrivains du moyen âge, pour remettre en mémoire l’influence littéraire que la France a exercée la première avant l’Italie, la renommée universelle de nos chansons de geste et des récits portés par nos conteurs à travers le monde. Pourvu qu’on lui concédât que la France avait été l’institutrice de l’Europe et même de l’Orient, il était pour le reste de bonne composition. Je n’éprouvais aucun désir de le contrarier, je me laissais même gagner par la contagion de son patriotisme littéraire. Je possédais auprès de lui un autre moyen d’action que je ne soupçonnais pas à l’origine. Cet esprit vigoureux, cet homme tout d’une pièce qui ne mâchait la vérité à personne, qui, dans les soutenances