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un certain mouvement de sa lèvre inférieure charnue et débordante par lequel il annonçait la venue d’un bon mot ou d’une saillie. Le rire du public commençait avant qu’il eût parlé. Il plaisait encore aux étudians par une autre qualité, par l’indépendance de ses opinions politiques. Quelques phrases de lui avaient valu un avertissement au Journal des Débats. Il avait osé dire que l’Empire c’était l’Empereur, comme s’il mettait en doute la transmission du pouvoir et la durée de la dynastie. Il n’en fallait pas davantage pour mécontenter les Tuileries et pour réjouir l’opposition.

Comment parlaient mes collègues ? Quelles étaient la nature et la forme de leur enseignement ? C’est ce qu’il m’eût été difficile de dire. Le temps me manquait pour assister à leurs leçons. Il semble d’ailleurs qu’il y aurait eu une sorte d’inconvenance à se faire en quelque sorte leur juge en prenant place au milieu du public. Il restait cependant un moyen de les connaître, moyen très sûr et très agréable, la participation avec eux aux soutenances de thèses. Séances longues et attachantes, où pendant cinq ou six heures au moins le candidat au grade de docteur subissait successivement l’assaut de plusieurs membres de la Faculté. Chacun apportait son tempérament dans ces luttes oratoires, M. Victor Le Clerc son ironie incisive, M. Patin sa bonne humeur souriante, Saint-Marc Girardin ses saillies préparées et sa pointe d’opposition. La discussion devenait quelquefois très vive. Le candidat ne se rangeait pas aux opinions de ses contradicteurs et soutenait les siennes avec énergie. A cet égard on lui laissait toute latitude. Personne ne s’étonnait ni ne s’irritait de la vivacité de son argumentation. Il faut le dire à l’honneur de l’Université parce que c’est un des traits qui l’honorent le plus. Pendant les années de silence du second Empire, la liberté de la parole s’est souvent réfugiée dans une petite salle de la vieille Sorbonne, où la qualité de l’auditoire rachetait l’exiguïté et la pauvreté du décor. C’est là que j’ai eu à argumenter pour mes débuts contre des candidats aussi distingués que Gaston Paris et Octave Gréard.

Il faut faire remonter vers cette époque, sous le décanat de Victor Le Clerc, la transformation complète des thèses de doctorat ès lettres soutenues en Sorbonne. Au commencement du XIXe siècle elles se composaient de quelques pages. C’étaient de simples dissertations destinées à établir que le candidat