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avant que vous receviez cette lettre… Plaignez-moi ; j’espère qu’au printemps, vous me féliciterez. »

Quinze jours plus tard, le Roi complète ces désolantes nouvelles et annonce le départ de son ami. « D’Avaray est parti vendredi, comme je vous l’avais annoncé. J’ai désiré, j’ai pressé ce voyage ; il était nécessaire tant à cause du climat que pour lui procurer un repos auquel il était impossible ici d’obtenir de lui qu’il se livrât. Mais, j’ai beau me dire tout cela, je n’en souffre pas moins. Il n’est point guéri, je ne puis me le dissimuler et quoique le lait d’ânesse auquel il s’est mis passe bien, quoique je puisse fonder des espérances raisonnables sur son voyage même, je puis bien aussi concevoir de cruelles inquiétudes. »

Désormais les détails sur la santé du voyageur tiendront une large place dans la correspondance qui nous sert de guide. Entre lui et le maître auquel, même de loin, il ne cesse de prodiguer son dévouement et ses conseils s’établiront des relations épistolaires qui se continueront durant des années, car, bien qu’au printemps d’Avaray revienne à Varsovie, il est trop gravement atteint pour se dispenser de retourner chaque hiver en Italie. Ainsi, périodiquement, d’année en année, la mauvaise saison ramènera la séparation, et jusqu’à la fin, malgré l’habitude et la nécessité, les deux amis en souffriront toujours autant[1].


III

Indépendamment des préoccupations que causait au Roi l’état maladif de d’Avaray, il en était d’autres qui pesaient non moins durement sur lui et entretenaient en son esprit une excitation incessante. Nous ne parlons pas ici de celles que lui apportaient les événemens qui se déroulaient en Europe et éloignaient un peu plus chaque jour sa restauration. Nous avons énuméré plus haut ces motifs de déceptions et de mécomptes, et il n’y a pas lieu d’y

  1. C’est au cours de ses voyages en Italie que d’Avaray rencontra un jeune gentilhomme provençal, le comte de Blacas, dont il eut promptement apprécié les mérites. Il ne tarda pas à le placer auprès du Roi, voyant déjà en lui son successeur. Lorsqu’en 1811, il mourut à Madère, il emporta dans la tombe la conviction, justifiée déjà par les services de Blacas et qui devait l’être plus encore dans les années suivantes, d’avoir légué à son maître un autre lui-même. La duchesse de Gontaut, dans ses Mémoires, a raconté cette rencontre et ses suites. Mais, son récit brille surtout par ses inexactitudes, ainsi qu’il me sera aisé de le démontrer ultérieurement.