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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/915

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rigueur il analysait le caractère de Raskolnikof. « L’état de Dostoïevsky, conclut Ossip Lourié, n’alla jamais jusqu’à la démence, mais l’affaiblissement progressif de son sens critique est indéniable. C’est là que nous devons chercher les causes de toutes les contradictions dont sont remplies sa vie et ses œuvres. » C’est bien là la caractéristique d’un demi-fou.

Tolstoï appartient à cette catégorie de demi-fous qu’on appelle des originaux. À huit ans, « il se prit d’un désir irrésistible de voler en l’air. Cette idée le hanta jusqu’au moment où il se décida à la mettre en pratique. Il s’enferma dans sa chambre d’études, gagna la fenêtre et fit un mouvement pour voler en l’air. Il tomba d’une hauteur de plus de cinq mètres et fut malade pendant un certain temps. » Un autre jour, « il lui vint à la pensée que le bonheur ne dépend pas des événemens extérieurs, mais de la façon dont nous les acceptons, qu’un homme accoutumé à supporter la douleur ne peut pas être malheureux. Et, pour s’accoutumer à la peine, il s’exerçait, malgré des douleurs atroces, à tenir un dictionnaire à bras tendu pendant cinq minutes, ou bien il s’en allait dans le grenier, prenait des cordes et se donnait la discipline sur le dos, avec tant de vigueur que les larmes lui venaient aux yeux. » D’une manière générale, dans sa jeunesse, il « ne voulait jamais rien faire comme tout le monde » et ne s’inscrivit à la Faculté des langues orientales que parce que tout le monde préférait la Faculté de droit. Une de ses tantes lui écrit : « Tu as toujours voulu passer pour un original ; ton originalité n’est autre chose qu’un amour-propre excessif. » Du reste, en entrant à l’Université, il se propose de « savoir tout » en deuxième année et d’être, après sa thèse de doctorat, « le premier savant de la Russie. » Après une série d’avatars, « tout devient insupportable au maître ; il tomba malade plutôt moralement que physiquement ; enfin, il abandonna tout et partit pour le désert, chez les Baschkirs, respirer l’air et vivre de la vie animale. » En présence des trois filles du docteur Berce, « Tolstoï commença par s’éprendre de l’aînée, puis il crut aimer la seconde, définitivement il devint amoureux de la troisième. » Plus tard, il se met « à faucher avec les moujiks… en blouse de paysan. » À l’époque « la plus glorieuse pour le talent du romancier » et « la plus calme de sa vie intérieure, » il écrit : « Cependant je sentais que je n’étais pas tout à fait sain d’esprit et que cela ne pourrait pas se prolonger longtemps. » Le