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regarde, à la Galerie Nationale de Portraits de Londres, le portrait qu’a peint d’Anne Boleyn un maître flamand (ou français ? ) de l’époque, avec un art infiniment plus prosaïque que celui d’Holbein, mais encore plus précis et plus minutieux. Non pas que le visage d’Anne Boleyn, tel que nous le montre ce portrait, ait rien de vraiment beau : un visage trop long, trop étroit, s’effilant en un menton pointu assez disgracieux. Mais il y a dans le regard caressant et troublant des grands yeux noirs, dans le sourire pincé de la bouche, et dans tout l’ensemble de la physionomie, quelque chose à la fois de lascif et de vipérin, qui doit avoir tout de suite captivé, fasciné, une nature aussi grossièrement sensuelle que celle d’Henri VIII. C’est un de ces visages qu’on n’oublie point, dès qu’on les a vus, et dont on a l’impression que son charme malsain est fait surtout de la réunion de tous les vices, fondus et combinés là en un mélange de choix. Et une impression toute pareille se dégage de l’étude du caractère d’Anne Boleyn. J’ai vainement cherché, dans ce que nous révèlent les historiens protestans de la vie et des actions de cette zélée initiatrice du protestantisme, la trace d’une seule qualité sympathique qu’elle ait eue : à moins qu’on ne veuille lui tenir compte d’une certaine bravoure, ou témérité féminine, qui d’ailleurs semble avoir été bien intermittente et avoir alterné avec des crises d’une lâcheté également anormale. Tout ce que peuvent faire pour elle ses apologistes est d’insister sur le fait qu’elle a longtemps demeuré en France, et en a rapporté une âme toute corrompue par les mœurs françaises : mais il n’est pas absolument certain que ce ne soit pas plutôt une de ses sœurs qui a fait ce long séjour, en France ; et, en tout cas, la cour d’Henri VII et d’Henri VIII, au point de vue de la dépravation morale, aurait eu largement de quoi lui enseigner ce que l’on veut qu’elle ait appris à la cour de François Ier.

Elle avait eu déjà diverses aventures amoureuses, en Angleterre, avant d’oser se lancer à la conquête du Roi. Et à peine eut-elle réussi dans cette conquête, qu’elle étala cyniquement une insolence, une rapacité, une cruauté, sans limites. Sa conduite à l’égard de Catherine et de la jeune princesse Marie (dont elle s’est publiquement accusée d’avoir souhaité la mort), ses misérables ruses pour retarder sa disgrâce, — jusqu’à simuler une grossesse, pour qu’Henri pût espérer avoir d’elle un fils, — la bassesse avec laquelle, dans sa prison de la Tour de Londres, elle s’est répandue en dénonciations contre ses plus fidèles partisans : tout cela est suffisamment connu, et forme un contraste bien saisissant avec la noble attitude de la reine catholique qu’Anne Boleyn s’est acharnée à persécuter. Les protestans anglais