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doit s’être fait surtout à l’instigation des chefs du parti catholique, qui espéraient, par l’influence de la nouvelle reine, obtenir du Roi qu’il consentit à renouer des rapports avec la Cour romaine. Et il se peut fort bien que Jeanne ait été très pieuse, très sincèrement attachée à la foi catholique ; et il est plus certain encore qu’elle devait avoir un excellent cœur. On sait avec quelle tendresse toute maternelle elle a toujours traité la fille d’Henri et de Catherine, et comment, lorsque a eu lieu le célèbre Pèlerinage de Grâce, elle s’est jetée aux genoux du Roi, pour le supplier de rendre aux ordres religieux les couvens dont Cranmer et Cromwell, avec l’aide d’Anne Boleyn, les avaient dépouillés. Mais Henri, en la relevant, lui défendit de « se mêler de ses affaires : » défense que la pauvre femme, depuis lors, se garda bien d’enfreindre. Son courage était loin d’égaler sa bonté ; et il suffit de jeter un regard sur le portrait d’Holbein pour comprendre qu’une personne aussi molle, et probablement d’un esprit aussi borné, n’était guère faite pour jouer le rôle actif, héroïque, où l’on s’étonne que quelqu’un ait pu avoir l’idée de la destiner.


Sa mort fut suivie, dans le drame matrimonial que nous raconte M. Hume, d’un intermède comique.

Sur le conseil de Cromwell, le Roi s’était décidé à épouser, cette fois, une princesse protestante. Il avait songé à la veuve du duc de Milan, cette charmante et spirituelle Christine de Danemark dont Holbein nous a laissé un délicieux portrait : mais elle avait refusé en ajoutant que, « si elle avait deux têtes, elle serait heureuse d’en mettre une à la disposition de Sa Majesté d’Angleterre. » Alors Cromwell avait fait choix de la fille cadette du duc de Clèves, dont il avait affirmé au Roi que « chacun vantait sa beauté de corps et de visage, et qu’elle était aussi supérieure en agrément à sa sœur, la duchesse de Saxe, que le soleil d’or à la lune d’argent. » Henri, pour mieux se renseigner, avait envoyé à Clèves son peintre Holbein : et celui-ci, dans le portrait qu’on peut voir au Louvre, avait représenté une jeune femme qui, sans grande beauté de traits et avec une expression un peu somnolente, était assurément d’un aspect beaucoup plus aimable que Jeanne Seymour, telle qu’il l’avait peinte deux ans auparavant. Décidé, sans doute, par la vue de ce portrait, Henri avait demandé la main d’Anne de Clèves. La jeune princesse s’était mise en route pour l’Angleterre, s’occupant, sur son chemin, à apprendre les jeux de cartes favoris de son auguste fiancé ; à Douvres, à Cantorbery, à Rochester, le peuple