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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/958

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parce qu’ils n’obéissent pas suffisamment aux injonctions des fidèles qui cherchent à les entraîner avec eux dans des manifestations, moitié religieuses sans doute, mais aussi moitié politiques. Comment ceux qui s’intéressent à l’Église catholique en France n’en seraient-ils pas inquiets ? On nous permettra de parler franchement, crûment même : i le Concordat, s’il rendait le clergé un peu trop] dépendant du gouvernement, le rendait du moins indépendant des fidèles, et si cette situation n’était pas sans inconvéniens, elle n’était pas non plus sans avantages. Ces avantages, dont l’Église avait le sentiment secret et profond, étaient peut-être le principal motif qui l’attachait au Concordat. Aujourd’hui tout est retourné, Le clergé est indépendant de l’État, mais il tombe dans une certaine mesure sous la dépendance des fidèles, et on a pu voir tout de suite que ce joug menaçait de n’être pas plus léger que l’autre. Il sera peut-être moins tracassier ; encore n’est-ce pas bien sûr ; mais il sera plus violent. A voir ce qui vient de se passer, on se demande ce que seront dans quelques années les associations cultuelles, de quel esprit elles seront animées, de quelles passions elles seront enflammées. Nous souhaitons de tout notre cœur que ce péril soit conjuré : la paix des consciences et celle de l’État lui-même sont à ce prix. On en a vu apparaître un autre à la Madeleine. La foule amassée devant l’église y a fait subitement irruption pour répondre à la manifestation par une contre-manifestation. On s’est battu, heurté, quelque peu écharpé, et le curé a dû lui-même demander à la hâte main-forte à la police. Qu’arriverait-il si ces mouvemens en sens contraires, qui précipitent des citoyens les uns contre les autres, se répétaient et se généralisaient ? Ce seraient les premiers symptômes de la guerre civile, et nous ne voulons pas examiner quelles en seraient les victimes les plus probables. Il faut repousser ces pensées avec horreur.

Nous ne serions pas tout à fait complet si nous ne disions que, dans toutes ces affaires, la magistrature a montré un zèle qui a paru généralement excessif. Le zèle n’est pas toujours une belle chose ! Ce n’est pas toujours une preuve de courage, ni d’indépendance ! A côté de chaque échauffourée, il y a eu un tribunal en permanence, où pleuvaient les mois et les années de prison pour des faits qui, accomplis par d’autres, trouvent habituellement plus d’indulgence. La prison n’a pas suffi toujours, et on a vu certains magistrats l’assaisonner d’admonestations dont la rudesse a paru déplacée. Nos tribunaux feraient bien de se rappeler le vieil axiome : Ne quid nimis, rien de trop ! Mais ce n’est là qu’une observation de détail, et non pas la plus grave,