Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/960

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si nous nous étions rendus à Algésiras sans avoir rien dit à personne de nos intentions : mais nous n’avons, au contraire, négligé aucun moyen de publicité pour les faire connaître au monde entier. Le Livre Jaune en est plein, et M. Rouvier, quelques jours avant le départ des plénipotentiaires pour Algésiras, les a précisées à la tribune avec la plus éclatante loyauté. Aussi nous sentons-nous parfaitement en règle avec tout le monde, car tout le monde a su ce que nous voulions, et encore plus ce que nous ne voulions pas.

Nous ne sommes pas, à l’égard du Maroc, dans la même situation que les autres puissances. Aucune d’elles n’a avec lui une longue frontière commune ; aucune, par conséquent, n’a le même intérêt que nous, non seulement à ce que l’ordre y soit maintenu ou rétabli, mais à ce qu’il le soit dans certaines conditions. L’Espagne seule a, comme nous, quelques points de contact avec le Maroc : aussi lui reconnaissons-nous volontiers des intérêts et par conséquent des droits qui ne sont pas sans analogie avec les nôtres, quoiqu’ils soient moins étendus. Mais les autres puissances sont dans un cas différent. Ce qui se passe au Maroc n’importe pas à la sécurité et à la solidité de leur domaine, ou de ce qu’on appelle aujourd’hui leur empire colonial, et c’est pourquoi il y a quelque chose à la fois d’illogique et d’inadmissible à nous mettre sur le même pied qu’elles. Notre droit vient de l’immense effort que nous avons fait en Afrique depuis soixante-quinze ans. Tout le monde en a profité, car nous avons purgé la Méditerranée des pirates qui l’infestaient, et notre œuvre civilisatrice a été si complète que les souvenirs auxquels nous faisons allusion ont déjà disparu des mémoires : ils ne sont vieux que de trois quarts de siècle et ont l’air de l’être de plusieurs. La cause que nous plaidons en ce moment est celle de notre domaine algérien. Nous ne pouvons pas prêter bénévolement la main à ce que d’autres grandes puissances s’établissent politiquement et militairement à côté de lui ; et c’est ce que l’Allemagne réclame sous couvert d’internationalisation. Il y a internationalisation et internationalisation ; il y a l’internationalisation économique et l’internationalisation politique : nous acceptons la première et nous repoussons la seconde. Quand l’Allemagne demande que la porte douanière du Maroc soit également ouverte à toutes les puissances et qu’il n’y ait pour aucune, ni préférence, ni monopole, c’est là une revendication hardie et qui, si on la pousse à l’extrême, n’est pas sans porter atteinte à la souveraineté du Sultan : nous n’y faisons néanmoins pas d’objection. Que toutes les puissances se fassent une libre concurrence au Maroc, qu’elles y introduisent dans des conditions