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de l’Inde que cinq comptoirs, avaient mis la France hors d’état de lutter désormais pour la suprématie dans l’Inde. Ce fut une autre puissance, celle-là même que Napoléon avait associée à ses projets sur l’Inde, qui prit notre place dans l’appréhension des Anglais. Au péril français succède le péril russe.

On a beaucoup discuté, au cours du XIXe siècle, sur ce dernier péril, et l’on s’est demandé souvent si la crainte qu’en ont les Anglais était bien fondée. Les uns ont soutenu que le péril russe était le plus imaginaire des périls, que c’était une chimère, une construction de rêves qu’un peu de réflexion devrait jeter à bas ; que les Russes étaient dans l’impuissance absolue d’amener assez de troupes, assez de vivres, assez de munitions pour une campagne sérieuse ; qu’entre eux et les Anglais, il y avait l’Himalaya, l’Hindou-Kouch et leurs défilés aussi hauts que le Mont-Blanc, qu’il y avait l’Afghanistan avec ses peuplades guerrières, farouches, capables de causer les plus graves préjudices à l’envahisseur ; mais, sans entrer ici dans l’examen des considérations d’ordre politique, économique et social qui peuvent engager ou détourner le gouvernement russe de tenter une pareille entreprise et en envisageant simplement la possibilité d’une attaque russe par le Nord-Ouest de l’Inde, on est bien obligé de reconnaître, d’après les données de l’histoire et les indications topographiques du sol que nous avons exposées, que cette attaque est réalisable. Ce ne serait pas la première fois qu’une vague formidable qui roulerait du centre de l’Asie viendrait battre les frontières de l’empire des Indes. Les défilés eux-mêmes ne sont pas infranchissables et il n’y a aucune raison qui s’oppose à ce que la grande route suivie par les conquérans de jadis ne soit pas reprise par des conquérans contemporains. Tous les Anglais de l’Inde auxquels l’histoire de ce pays est familière sont d’accord sur ce point. Ils ont constamment dans la mémoire la remarque aussi juste que profonde du célèbre auteur de l’Ayin-Akbari, Abou-Ifazil, qui a écrit à la fin du XVIe siècle : « Depuis la plus haute antiquité, Caboul et Candahar ont été regardées comme les portes de l’Hindoustan, l’une y donnant accès du côté du Touran, l’autre du côté de l’Iran ; si ces deux places sont convenablement gardées, le vaste empire de l’Hindoustan est à l’abri des invasions étrangères ; » et ils ont fait de cette recommandation le pivot de la politique anglaise dans l’Asie centrale.