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l’Allemagne, en compagnie de Benjamin Constant, s’arrête à Metz, où elle a donné rendez-vous à Villers. Nous n’avons pas à raconter ici les détails de leur entrevue. Malgré la présence de Mme Rodde, cette « grosse Allemande, » l’amie de Villers, qui glaça un peu les bonnes dispositions de Mme de Staël, celle-ci jugea Villers « un homme d’esprit et intéressant par son enthousiasme[1] ; » il avait toutes les idées du nord de l’Allemagne dans la tête[2]. Mme de Staël entreprit de les en faire sortir ; on sait qu’elle excellait à jouer ce rôle. Villers s’y prêtait d’ailleurs avec bonne grâce. Ce furent, pendant douze jours, de longues causeries, que traversaient des orages passagers. On voit, par la correspondance qui suivit, que l’initiation ne fut pas toujours facile et que Villers eut fort à faire pour triompher de certaines résistances. Mme de Staël trouvait « mille niaiseries » dans Richter, jugeait l’extérieur allemand « bien peu esthétique. » Villers s’indignait : « Pensez-y bien avant que de condamner un tel homme !… En France, on ne travaille que pour Paris, et dans Paris que pour trois ou quatre sociétés. En Allemagne, on travaille pour toute la nation, même pour celle des petites villes et des campagnes. » Mais enfin Weimar, la société de Goethe et de Schiller devaient bientôt hâter la conversion de Delphine et achever l’œuvre de Villers.

Mme de Staël reconnaissante a immortalisé le nom de l’auteur de l’Essai sur Kant dans le livre De l’Allemagne[3]. « Par la grâce de son esprit et la profondeur de ses études, » dit-elle, Villers « représente la France en Allemagne et l’Allemagne, en France. » C’était indiquer très justement son rôle. Cependant l’influence de Villers a été, en ce sens, moins grande que celle de Mme de Staël sur notre littérature. C’est que, abstraction faite du génie, Mme de Staël était, de cœur et d’esprit, restée plus Française ; ce qu’il y a en son livre de superficiel explique en partie son succès en France. Elle a pénétré moins avant que Villers dans la connaissance de l’Allemagne et de ses œuvres ; mais c’est peut-être la raison pour laquelle elle a agi plus fortement sur nos écrivains et sur nos poètes.

  1. Mme de Staël à Mathieu de Montmorency.
  2. Mme de Staël à Gérando.
  3. Première partie, ch. XVIII : « Des Universités allemandes. »