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bâti au centre même de la ville sur une île allongée où le fleuve se partage en deux courans égaux. Sous mes fenêtres, un monument de bronze, qui a la forme bizarre d’un cierge allumé, consacre les exploits des soldats morts pour la cause impériale dans la guerre civile des Satsuma. Derrière l’hôtel, une salle de gymnastique où, toute la journée, des jeunes gens se sont escrimés avec des sabres et des fusils de bois aux yeux des passans attroupés. Leur tapage et leurs clameurs ont enfin cessé. Le bruit des musiques s’éveille sur les eaux du fleuve. Des femmes aux robes diaprées et aux ceintures de brocart, que leurs kurumaya ont déposées près de la berge, descendent les escaliers où des barques les attendent, et rient de voir l’ombre de leurs larges manches danser sur les vagues.

Tant que durent les nuits de printemps et d’été, la vie d’Osakâ déborde des restaurans, des maisons de rendez-vous, des immenses quartiers de débauche ; et les riverains du fleuve assistent à une fête vénitienne d’institution aussi antique que la Bourse du Riz. Tous les mondes s’y rencontrent, depuis les gros financiers jusqu’aux petits marchands, impatiens de jeter sous les ponts leur gain de la journée en sons de shamisen ; les industriels, toujours à la veille de la ruine ou de la fortune ; les riches commissionnaires, pour qui travaillent des milliers d’ouvriers en chambre et qui fournissent les commerçans ; les commerçans, parmi lesquels on distingue quelques héritiers d’une miraculeuse tradition de probité commerciale ; les agens de change recrutés chez ces fiers samuraï, anciens intendans de leurs princes, qui jadis dans leur province affectaient de mépriser le calcul, mais qui ne dédaignaient point ici le fumet des pots-de-vin, à condition toutefois que ces pots leur fussent élégamment présentés. Peut-être se montrent-ils aujourd’hui moins difficiles sur l’élégance. Les fonctionnaires sont peu nombreux : ceux que leurs revenus personnels n’aident point à soutenir l’honneur de leurs fonctions, mènent une existence étriquée et n’obtiennent d’ailleurs aucune considération. Quant à l’armée, dont les casernes occupent les ruines cyclopéennes du château fort, ses soldats ne paraissent guère aux endroits où l’on s’amuse, et ses officiers réservés, courtois, avec un petit grain de hauteur, ne se divertissent qu’entre eux.

Ce soir, on m’a promis un beau spectacle. Et pourtant il n’y aura ni geishas, ni shamisen, ni saké, ni feux d’artifices. Mais