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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/174

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gré. Elles ont de la race, allez, ces enfans-là !… La soirée s’est écoulée comme d’habitude. Je l’ai priée de me chanter un air que j’aimais : elle l’a chanté. Le lendemain matin, je lui ai fait mes adieux : elle souriait et tremblait en même temps. Mais, quand j’étais sur le pont du paquebot, en pleine rade, et qu’on sonnait la levée des ancres, imaginez-vous que je l’ai aperçue là, debout, à la pointe d’une barque, et si jolie, jolie comme les soirs où je lui disais :

« — Lève-toi et tiens-toi droite !

« J’étais à demi couché sur les nattes, et ça me réjouissait de la contempler dans l’encadrement de la fenêtre, toute menue, toute mignonne, avec sa robe qui ondulait à ses pieds, sa grosse ceinture et ses grandes coques de cheveux… Elle me demandait :

« — C’est ainsi que se tiennent les jeunes filles de votre pays ?

« Je lui répondais :

« — Elles ne portent pas d’aussi belles ceintures que toi !

« — Hé ! reprenait-elle d’une voix un peu triste, elles doivent avoir beaucoup plus d’esprit.

« Je riais ; je ne disais pas non, parce qu’enfin il ne faut pas les gâter. Si les femmes au Japon s’en faisaient accroire autant que les hommes, que deviendrions-nous ?… Mais, comment voulez-vous maintenant que j’épouse d’un cœur léger la fille du pasteur ? La voyez-vous d’ici se prosterner et me traiter d’Honoré Maître ; non, la voyez-vous ?… Oh ! sapristi !… »

Ainsi me parlait ce brave garçon. N’eussent été ses parens, peut-être aurait-il épousé son aimable maîtresse. Sous ses dehors de vanité naïve, il avait senti la réelle valeur d’une âme de Japonaise et qu’elle n’est pas uniquement le fantôme d’une petite chatte. Cette union ne lui aurait pas offert moins d’assurances de bonheur que celle dont les parens se flattaient pour lui. En tout cas, la Japonaise, lorsqu’elle entre dans une famille européenne, y gagne des droits qui l’élèvent, ces mêmes droits que l’Européenne abdique en s’accroupissant au foyer japonais.

L’étiquette de la vie japonaise est compliquée, minutieuse et, je le veux, charmante. Mais, à une jeune fille qui a grandi dans le respect de soi-même et dans l’indépendance, elle paraîtra horriblement injurieuse. Formules et cérémonies, tout lui marque sa condition d’inférieure. La femme d’un Japonais devra silencieusement accepter cette déchéance ou se montrer si forte qu’elle