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montre initiée aux mystères de la philosophie platonicienne, aux dogmes occultes « de l’hermétisme cosmopolite, » connaissant « les incantations théurgiques qui mènent au pouvoir, » et employant ce pouvoir une fois conquis pour un but unique, la grandeur de Byzance et la reconstitution de l’antique hégémonie romaine. Et si l’on veut se la représenter telle que la rêva Paul Adam, qu’on lise cette page : « Assise sous les tendelets impériaux à l’extrême pointe du promontoire dominant les eaux rapides du Bosphore, elle passait les soirs devant la féerie immortelle du ciel levantin à se voir reflétée dans les vasques de métal poli, resplendissante comme la mère de Dieu en la châsse pompeuse de ses vêtemens, qui miraient les scintillantes étoiles à chaque facette de leurs joyaux uniques. Les pensées de triomphe vibraient en elle. Sa mémoire évoquait les enseignemens mystérieux des écoles. L’amour de faire vibrer un peuple au souffle de son esprit la tenait haletante et pâmée[1]. » Et telle est, pour cette femme supérieure, la sympathie de l’auteur que son crime même trouve à ses yeux une excuse et lui apparaît presque légitime. Si elle détrôna son fils et le fit aveugler c’est, dit le romancier, « qu’elle préféra supprimer l’individu au profit de la race. Le droit absolu lui donnait raison[2]. »

Ce sont là, je le veux bien, imaginations de poète. Mais de graves historiens aussi nous peignent Irène sous un aspect non moins séduisant. L’un vante ses talens, son habileté supérieure, la souplesse de son esprit, la clairvoyance de ses vues, la fermeté de son caractère[3]. Un autre voit en elle une femme tout à fait remarquable, qui donna à Byzance « le meilleur gouvernement et le plus réparateur qu’eût peut-être vu l’empire byzantin. » Et il ajoute : « C’était une femme vraiment née pour le trône, d’une intelligence virile, admirablement douée de toutes les qualités qui font les grands souverains, sachant parler au peuple et s’en faire aimer, excellant à choisir ses conseillers, douée d’un parfait courage et d’un admirable sang-froid[4]. »

Je confesse que, pour ma part, Irène m’apparaît beaucoup moins séduisante. Aprement ambitieuse, — ses admirateurs

  1. Paul Adam, Princesses byzantines, p. 33, 34. Dans un roman qui va paraître très prochainement, Irène et les eunuques, M. Paul Adam a peint en pied, mais sous les mêmes couleurs, la figure de la célèbre souveraine.
  2. Ibid., p. 80.
  3. Gasquet, l’Empire byzantin et la monarchie franque, p. 252, 287.
  4. Schlumberger, les Iles des Princes, p. 112.