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donc le projet caressé, et malgré les répugnances de Constantin VI, qui s’était à distance épris de la jeune princesse d’Occident, elle lui imposa un autre mariage.

Dans un joli passage d’un document de l’époque, la vie de saint Philarète, on voit comment la nouvelle union fut préparée. Ce n’étaient point d’ordinaire, comme dans nos États modernes, des raisons politiques qui déterminaient le choix qu’un empereur faisait de sa femme. C’est par un procédé plus original que le prince découvrait celle qu’il allait épouser : entre les plus jolies filles de la monarchie, le gouvernement instituait un véritable concours de beauté, dont le trône était le prix.

Conformément à cet usage, l’impératrice Irène envoya par tout l’empire des messagers chargés de découvrir et de ramener dans la capitale les jeunes femmes dignes de fixer l’attention du basileus. Pour limiter leur choix et rendre leur tâche plus facile, la souveraine avait pris soin d’indiquer l’âge et la taille que devraient avoir les candidates, et aussi la pointure des bottines qu’elles devaient chausser. Munis de ces instructions, les envoyés se mirent en route, et au cours de leur voyage ils arrivèrent un soir dans un village de Paphlagonie. Voyant de loin une grande et belle maison, qui semblait appartenir à un riche propriétaire, ils décidèrent d’y prendre quartier pour ta nuit. Ils tombaient mal : l’homme qui habitait là était un saint ; mais, à distribuer des aumônes aux pauvres, il s’était complètement ruiné. Il n’en fit pas moins grand accueil aux mandataires de l’empereur, et appelant sa femme : « Fais-nous, lui dit-il, un dîner qui soit bon. » Et comme, fort empêchée, celle-ci répondait : « Comment ferai-je ? tu as si bien gouverné ta maison que nous n’avons plus même une volaille dans la basse-cour. — Va, reprit le saint, allume ton feu, prépare la grande salle à manger, dresse la vieille table d’ivoire : Dieu pourvoira à ce que nous ayons à dîner. » Dieu y pourvut en effet ; et comme au dessert les envoyés, fort satisfaits de la façon dont on les avait traités, interrogeaient obligeamment le vieillard sur sa famille, il se trouva qu’il avait justement trois petites-filles en âge d’être mariées. « Au nom de l’empereur couronné par Dieu, s’exclamèrent alors les mandataires, qu’elles se montrent, car le basileus a ordonné que, par tout l’empire romain, il ne se rencontre point une jeune fille que nous n’ayons vue. » Elles parurent ; elles étaient charmantes ; et précisément l’une d’elles, Marie, avait