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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/198

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altérée de vengeance, avide de châtier ceux qui l’avaient trahie, et plus ardente que jamais à poursuivre son rêve ambitieux. Mais cette fois, pour le réaliser, elle allait se montrer plus habile. En 790, elle s’était crue trop sûre du succès ; elle avait voulu précipiter les choses et enlever de haute lutte le trône ; elle avait, par ses brutalités envers son fils, scandalisé l’opinion publique et soulevé l’armée. Avertie par son échec, maintenant elle mit cinq patientes années à préparer lentement son triomphe par les plus subtiles intrigues et les mieux combinées.

Constantin VI avait d’incontestables qualités. C’était, comme son grand-père, un prince courageux, énergique, intelligent et capable : ses adversaires mêmes font son éloge et lui reconnaissent des mérites guerriers et une réelle aptitude au gouvernement. Les accusations portées contre lui, la vie de débauche en particulier qu’on lui reproche, n’ont point la portée générale qu’on pourrait croire d’abord et visent uniquement, dans la pensée de leurs auteurs, le scandale qu’il donna par son second mariage. D’une parfaite orthodoxie, il était fort populaire dans les classes inférieures, et l’Eglise ne le voyait point d’un mauvais œil ; général actif et brave, très disposé à recommencer la guerre contre les Bulgares et les Arabes, il plaisait à l’armée. Ce fut l’habileté suprême d’Irène de brouiller successivement ce souverain estimable avec ses meilleurs amis, de le faire paraître tout ensemble ingrat, cruel et lâche, de le déconsidérer auprès des soldats, de lui enlever la faveur du peuple et de le perdre enfin dans l’esprit de l’Eglise.

Tout d’abord elle employa son influence reconquise pour exciter les soupçons du jeune Constantin contre Alexis Mosèle, le général qui avait fait le pronunciamiento de 790, et elle compromit si bien ce personnage que l’empereur le disgracia et le fit emprisonner, puis aveugler. C’était pour Irène double bénéfice : elle tirait vengeance d’un homme qui avait trahi sa confiance, et elle soulevait contre Constantin VI les troupes d’Arménie, son meilleur appui. A la nouvelle du traitement infligé à un chef qu’ils aimaient, ces régimens en effet s’insurgèrent. Il fallut qu’en 793 le basileus lui-même allât écraser la sédition : il le fit avec une dureté extrême, et ainsi il acheva de s’aliéner l’esprit des soldats. En même temps, comme un parti continuait à s’agiter en faveur de ses oncles les Césars, sur le conseil d’Irène, l’empereur condamna l’aîné à perdre les yeux et fit couper la