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De boire à son calice et de s’enivrer d’elle !…
Ah ! comme tout bonheur soudain semble terni
Pour un cœur sans espoir qui conçoit l’infini…


RÊVERIE PERSANE


O Mort, s’il faut qu’un jour ta flèche me transperce,
Si je dois m’endormir entre tes bras pesans,
Laisse-moi m’éveiller dans l’empire de Perse,
Radieuse, éblouie, et n’ayant que quinze ans.

Alors je connaîtrai, moi qui rêvais tant d’elle,
Ispahan, feu d’azur, fruit d’or, charme des yeux !
Les jardins de Chiraz et la tombe immortelle
Où Saadi refleurit en pétales joyeux.

Les bras levés, le cœur divinement sensible,
Je percevrai, dans l’air si limpide, si mol,
O musique d’amour frémissante et visible,
Les soupirs de la rose et du chaud rossignol !

Au travers des pavots, des lis, de la verdure,
Je verrai s’avancer, curieux, familiers,
De beaux garçons persans en bonnet de fourrure,
Aux profils aussi ronds que des jeunes béliers.

Ils me diront avec des gestes et des poses,
Des accens étonnés et des regards d’enfans :
« C’est vous, sœur de nos cœurs, vous, l’amante des roses,
Le souffle du matin et des soirs étouffans !

« Venez, nous vous ferons reine de Trébizonde,
Princesse de l’aurore et des nuits sans sommeil,
Les royaumes détruits se lèveront de l’onde
Au milieu d’un parterre odorant et vermeil.

« Petite fille avec des âmes anciennes,
Amoureuse des dieux et du monde enflammé,
Vous direz chaque soir vos prières païennes
Dans la mosquée ardente où dort sainte Fatmé.