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temps de mes études. Mais la fantaisie a ses droits tout de même et désormais, dans la vieille forme traditionnelle, j’ai résolu d’introduire un élément de nouveauté et de poésie. »

Il a tenu sa résolution. Dans son admirable édition critique des sonates, Hans de Bülow écrit très justement : « La fugue est pour Beethoven ce que la musique en général est pour les poèmes dramatiques de Richard Wagner ; non le but, mais le dernier et suprême moyen dans la gradation expressive. De là le caractère passionné, en quelque sorte électrique, de la fugue beethovénienne. Il n’a rien à voir avec la beauté formelle, objective, purement classique, de la fugue de Bach, laquelle n’a d’autre fin qu’elle-même. »

Cela n’est pas moins vrai de la variation que de la fugue. La variation elle aussi, — l’andante de l’op. 109 et l’arietta de l’op. 111 en témoignent, — la variation a reçu de Beethoven un surcroît prodigieux de poésie et de lyrisme, d’expression, de pathétique et de vie. Par un dernier coup de génie, l’une et l’autre forme, l’un et l’autre genre musical ont été portés, élevés ensemble de l’ordre de la raison et de l’esprit, à l’ordre de la passion et de l’âme.

Du récitatif aussi, du récitatif de piano, qu’a fait le Beethoven des sonates ! Ou plutôt que n’en a-t-il pas fait ! Bach et Mozart en avaient donné des exemples (Fantaisie chromatique, variations sur le thème d’Une fièvre brûlante). Beethoven en a créé les chefs-d’œuvre (sonate op. 31 n° 2, en mineur ; sonate en la bémol op. 110). Ici le génie du maître brise les dernières entraves. En s’échappant hors de la mesure, on dirait qu’il s’est affranchi même du temps, que pour lui désormais rien ne limite ni ne partage. Ivre de sa liberté et de sa fantaisie, il plane, — un moment au moins, — dans l’infini de la durée.

Il y a plus, et de tels passages possèdent un autre caractère. Comme l’arioso, peut-être encore davantage, le récitatif instrumental de Beethoven (soit ici, soit au début du finale de la symphonie avec chœur) manifeste une tendance, une aspiration de la musique à la parole. Envieuses de la vertu des mots, et pour essayer d’y atteindre, les notes n’hésitent pas à réduire, si ce n’est à sacrifier la mélodie et la mesure, ces deux élémens de leur propre vertu. Le récitatif de Beethoven exprime — et ce n’est pas sa moindre beauté — le désir ou le rêve de cette impossible métamorphose. Il est le témoin et l’interprète des sons qui voudraient ressembler au verbe et se transformer en lui.

Autant que telle ou telle forme particulière, c’est la sonate