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terres un accroissement d’opulence des anciens détenteurs du sol, cette opinion serait exactement le contraire de la vérité. Dans notre pays, où la terre est si riche, il n’y a presque personne qui soit très riche par la terre, parce qu’il n’y a presque personne qui en possède beaucoup. Tandis qu’aux siècles passés, où la terre valait la moitié, le tiers, de ce qu’elle vaut aujourd’hui, il se trouvait des revenus fonciers plus élevés qu’il ne s’en rencontre de nos jours.

Il n’existe peut-être pas quatre grands propriétaires actuels, jouissant de 500 000 francs de rentes en terres ; ils existaient sous Louis XIII et Louis XIV. La grande Mademoiselle avait 1 700 000 francs de rente, dont la plus grande partie venait de ses immeubles. C’était, il est vrai, la plus riche princesse de France. Au même temps le cardinal de Richelieu possédait 940 000 francs et le duc de La Trémoïlle 1 200 000 francs de rentes en terre. L’ancêtre de ce duc, en 1493, le sire de La Trémoïlle, avait 550 000 francs de revenu foncier, et l’hectare de terre labourable valait alors, en moyenne, 570 francs[1].

Seulement ce qu’on nommait revenu foncier au XVIIe, et surtout au XVe siècle, c’étaient, principalement quand il s’agissait de fiefs, des redevances mobilières dues par le peuple résidant sur la seigneurie ; c’étaient des « impôts » plutôt que des « fermages. » Lorsqu’un duché, tel que celui de Thouars, en 1577, rapporte 39 000 francs, cela ne veut pas dire que le titulaire possède, en propre, une certaine étendue de sol qu’il loue 39 000 francs. Le produit rural ne consiste ici qu’en 2 000 francs pour 100 charretées de foin, autant pour 20 milliers de fagots et en une vigne « qui coûte plus à faire qu’elle ne vaut de revenu. » Ce qui constitue la recette, ce sont les bailliages, fours, moulins, prévôté, ferme des amendes, greffe, étangs, pêchage de la rivière, rentes en grains, etc.

Ces droits, d’une date à l’autre, varient fort suivant qu’ils sont plus ou moins strictement maintenus, que la population diminue ou augmente, et que le suzerain conserve, aliène ou acquiert, dans les limites de son fief, plus ou moins de biens-fonds

  1. C’est-à-dire 20 livres tournois, représentant intrinsèquement 95 francs, comme poids d’argent, et correspondant, en puissance d’achat (x 6) à 570 francs actuels. Je crois devoir rappeler au lecteur que tous les chiffres sans exception, contenus dans cet article, sont des chiffres actuels. C’est en monnaie de nos jours que sont exprimées ici toutes les sommes de jadis, préalablement traduites et converties comme il a été dit dans l’article précédent sur le même sujet.