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vergogne aux villes et provinces l’abolition des offices inutiles.

Il était une espèce de dignités très recherchées : les places dans les cours souveraines ; ici les créations ne dépendaient pas de la seule volonté royale. Les Parlemens, Chambres des comptes, Cours des aides, avaient conservé un esprit de corps presque invincible, joint à un égoïsme peu déguisé. Ils murmuraient, lorsqu’il s’agissait d’une mesure contraire à l’intérêt public ; touchait-on à leurs intérêts particuliers, ils se révoltaient tout net. En ce cas, il fallait parfois des troupes pour les réduire. Par le refus d’enregistrement de l’édit érigeant de nouveaux offices dans leur sein ; par l’examen des candidats, simple formalité qu’elles transformaient à leur gré en une barrière insurmontable ; par la quarantaine enfin, où elles tenaient les collègues imposés, qu’elles privaient d’affaires et, partant, d’ « épices, » les grandes compagnies réussirent à se protéger contre les envahissemens.

Du reste, pour n’importe quelle magistrature acquise, on devait, une fois le marché conclu avec le vendeur, se faire « mettre en possession ; » ce qui souvent n’allait pas tout seul. Un sieur Robert achète la charge d’ « élu et lieutenant particulier » d’Angoulême, — vice-président d’un tribunal financier d’arrondissement, — qui avait coûté 65 000 francs à son prédécesseur et lui est cédée par la veuve pour 54 000. Le traitement consistait en 2 250 francs de « gages » anciens, 1 200 francs de « droits de signature, » 600 francs de « droits de chevauchée » et autres, sous divers noms ; en tout 4 050 francs. Ce n’était pas un mauvais placement ; mais l’année suivante le Roi retrancha la moitié des gages. De plus, l’acheteur, qui est protestant, ne parvient pas à être « installé. » L’évêque lui suscite des chicanes ; des rivaux interviennent. Il lui faut soutenir d’abord, pour être reçu en la Cour des aides, à Paris, un procès long et dispendieux contre le syndic du clergé, avec évocation au Sceau, au Conseil privé, au Parlement. Après le procès de Paris, il en a un second à Bordeaux, pour avoir l’ « attache » de MM. les Trésoriers de France ; car Angoulême dépend de Paris au judiciaire, de Bordeaux au financier. Enfin, troisième ère de difficultés pour être reçu par ses collègues en l’élection.

Il fallait vraiment que l’amour des fonctions publiques fût ancré au cœur de ces bourgeois du XVIIe siècle, pour que ce malheureux prît tant de peine en vue d’exercer un emploi,