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contre les augmentations de traitement qu’on voulait leur imposer ; ils se pourvoyaient contre les taxes à la Chambre des comptes et au Parlement, dont les arrêts leur étaient toujours favorables. Le gouvernement leur envoyait-il sommation d’accepter les supplémens de gages ? Ils fermaient les portes de leurs maisons et y préposaient des étrangers qui menaçaient les sergens, — huissiers, — de résister par la violence si « l’on entreprenait l’effraction des portes. » Une loi ranima le zèle des sergens intimidés, en leur ordonnant de faire ouvrir de force le domicile des récalcitrans. Nous voilà loin des critiques que suscite aujourd’hui l’extension quasi indéfinie de notre fonctionnarisme !

Mais ce que nous envisageons ici c’est la qualité du placement, onéreux ou lucratif : « un office bien acheté, disait un pamphlet du temps de Louis XIII, devait rembourser son maître en deux ou trois ans » du coût initial. Il y a là quelque exagération. Les appointemens étaient en moyenne de 10 à 12 et demi pour 100 du prix des charges ; mais ce ne sont là que des taux apparens et très instables. D’une part, l’État fit une banqueroute d’un tiers à peu près, en retranchant, sous Richelieu et Mazarin, un quartier et demi de leurs gages à tous ceux qui avaient un emploi public. Il ne leur était donc plus payé que 62 et demi pour 100 de leur dû. D’autre part, les titulaires récupéraient sur le public sous forme d’épices, ou sur l’État, sous forme de taxations et de remises, les sommes qu’on leur arrachait. Et comment réprimer les abus de pouvoir ou les concussions d’agens que l’on rançonne sans trêve ?

La Meilleraye ayant dit à Richelieu qu’il connaissait un homme prêt à donner 3 600 000 francs de la charge de lieutenant civil au Châtelet, — à la fois préfet de police et président du tribunal de la Seine, — : « Ne me le nommez pas, répondit le cardinal, il faut que ce soit un voleur ! » Suivant ce qu’on pouvait leur faire rapporter, deux charges, vendues par le Trésor le même prix, arrivaient à valoir vingt fois plus l’une que l’autre ; comme nous voyons, à la Bourse, des actions émises originairement à 500 francs, dont les unes se cotent 5 000 francs et les autres 250. Ainsi la charge de conseiller à la Cour des aides valait 72 000 francs et celle de « trésorier des parties casuelles » 1 400 000 francs. Pour les emplois financiers, les appointemens fixes avaient