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d’armes intéressés à la maintenir, au moins chez eux et chez ceux qui leur en achetaient. Car elle était à vendre ou à louer, à l’année ou au trimestre, à prix débattu, cette sauvegarde des « avoués » et des vidâmes, des prévôts et chambellans d’abbayes, sorte d’assurance contre les risques hostiles.

Dans les périodes heureuses et d’un ordre relatif, de saint Louis à Philippe le Long, ceux qui payaient par annuités quelque protection efficace, tâchaient de résilier à l’amiable un contrat qui leur semblait onéreux, dès lors qu’il n’était plus nécessaire. Au contraire, durant les heures les plus anarchiques du XVe siècle, le brigandage, en s’organisant, arrivait à paperasser et devenait administratif. Tous les ans figurent dans les comptes une masse de rançons « pour deux chevaux, » « pour deux femmes, » « pour une vache. » Ces dépenses se régularisent ; on porte tous les mois quelques aunes de brunette ou de toile à « ceux qui avaient pris les chevaux ; » on offre trois chapeaux à « ceux qui ont pris les vaches. » Et l’on est prié de ne pas oublier les secrétaires, les malandrins des divers rangs de la hiérarchie : « Au capitaine, pour un sauf-conduit pour les mois de mai, juin et juillet… » 189 francs ; « au clerc dudit capitaine, pour l’écriture de ce sauf-conduit et des billets… » 29 fr. 50 ; « pour une sûreté afin d’amener les vaches et de labourer… » etc.

Plus tard cette « sûreté » s’appela « police, » se paya par l’ « impôt » et coûta moins cher, comme c’est le cas de toute assurance qui a pour cliens l’universalité des citoyens. Le défaut de l’ancien système était que les guerriers précédens cumulaient l’emploi de policier dans leur fief avec celui de brigand dans les fiefs d’alentour, et qu’ils trouvaient autant de gloire et de profit à dépouiller leurs rivaux que de douceur et d’honnête jouissance à faire régner la justice et la paix dans l’étendue de leur suzeraineté. Ce fut un bon temps pour les braves que celui où la richesse se confondait avec la force, et peut-être ne fut-ce pas tout à fait un mal pour l’Etat. Un pays qui donne à « gaigner » largement aux guerriers entretient l’esprit belliqueux, lequel est, jusqu’à un certain point, nécessaire, — un pays où les soldats seraient méprisés tomberait très vite, — et il n’eût pas été sans inconvénient, aux temps modernes, que l’on cessât de s’enrichir par la bravoure, si la profession des armes n’avait, à défaut de gain, procuré jusqu’à la fin de la monarchie un prestige supérieur à ceux qui s’y adonnaient.