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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/327

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On a tâché de montrer dans cette étude l’importance de cette formule très simple, et aussi qu’elle impliquait, dans sa simplicité, je dirais volontiers dans sa naïveté, une conception du roman très différente de celle qui avait régné jusqu’à Balzac. On écrira sans doute encore des romans « personnels » et on écrira des romans d’aventures ; on écrira des romans à thèse, dans le genre de l’Histoire de Sybille et de Mademoiselle La Quintinie ; on écrira des romans satiriques, mais non pas, espérons-le, dans le goût de Bouvard et Pécuchet. Multæ sunt mansiones in domo… Pas plus dans l’avenir que dans le passé les romanciers ne logeront tous au même étage. L’une des lois les plus certaines de l’histoire littéraire n’est-elle pas d’ailleurs qu’en quelque genre, et à quelque moment de la durée qu’un chef-d’œuvre se soit produit, il se suscite toujours à lui-même des imitateurs ? C’est une démonstration de l’axiome que « rien ne se perd ni ne se crée. » Mais la représentation de la vie, de la vie commune, de la vie ambiante ; de la vie « non choisie, » si je puis ainsi dire, ni circonscrite par aucun préjugé d’école ; de la vie encadrée dans son décor réel, observée, étudiée, rendue dans ce qu’on en pourrait appeler les infiniment petits, comme dans les grandes crises qui la bouleversent quelquefois ; de la vie toujours la même, et cependant toujours modifiée par le seul et unique effet de son propre développement, tel sera, selon toute apparence, et pour longtemps encore, l’objet propre et particulier du roman. C’est Balzac qui l’a déterminé, dans la mesure où Molière l’avait fait pour la comédie ; et sans doute c’est pour l’avoir déterminé dans ce sens, qu’à la longue, son action se trouve n’avoir pas été moins grande sur les historiens qu’au théâtre ou dans le roman.


IV

« En lisant les sèches et rebutantes nomenclatures de faits appelées histoires, qui ne s’est aperçu que les écrivains ont oublié, dans tous les temps, de nous donner l’histoire des mœurs ? » Cette phrase est de Balzac lui-même, dans l’Avant-Propos de sa Comédie humaine ; et elle nous explique l’influence qu’il a exercée sur la transformation de l’histoire. On a fait honneur de cette transformation au progrès naturel de la science et de l’érudition ; à l’exemple de quelques grands historiens ; à une connaissance du passé plus précise et plus étendue, aux idées